Vase à boire
Bamoun, Cameroun
Ce vase à boire prestigieux se distingue par sa forme atypique de haut cylindre cintré. Il illustre la qualité technique des fondeurs bamoun, regroupés, au 19e et au 20e siècle, en ateliers sous le monopole du roi.
Vase à boire
- Royaume Bamoun, Foumban
- Nord-ouest du Cameroun
- Fin du 19e - début du 20e siècle
- Alliage cuivreux
- 21,3 x 14 x 14 cm, 1433 g
Provenance
- Ancienne collection Louis Carré (1897-1977), Paris (inv. No 133).
- Ancienne collection Charles Ratton (1895-1986), Paris.
- Ancienne collection Paolo Morigi (1939-2017), Lugano.
- Sotheby’s Paris, Collection Paolo Morigi, 6 juin 2005, lot n° 129.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.6). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Le Grassland est une région de hauts plateaux, située à l’ouest du Cameroun et divisée en plusieurs chefferies et royaumes indépendants. Le Royaume Bamoun constitue l’entité la plus importante. Le pouvoir s’organise autour d’un roi prêtre (le fon) installé dans la capitale Foumban. L’art de cour Bamoun est étroitement lié aux cérémonies royales.
Le métal et les ateliers royaux
Au sein de la capitale, un quartier dévolu à la production de l’artisanat royal regroupe des ateliers de sculpteurs sur bois, de perliers, de tisseurs, de forgerons et de fondeurs1. La réalisation de ce vase en fonte à la cire perdue témoigne d’une grande maîtrise technique. Le fondeur commence par réaliser un modèle en cire, lui-même intégré dans un moule en terre où le métal fondu sera versé pour obtenir la forme désirée. Une fois le métal refroidi, le moule est cassé pour retirer l’objet. On obtient ainsi une pièce unique.
"L’Entrée du « Palais Royal » à Foumban". Carte postale, 9 x 14 cm. Photographie d’Anna Wuhrmann, Foumban, Cameroun, 1900-1930. Ancienne collection Raoul Lehuard, Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. PP0231077) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Symbolique
La coupe se présente sous la forme d’un haut cylindre cintré et coloré d’une patine brun rouge2. Cette forme en « diabolo »3, atypique pour un vase, se retrouve dans les fourneaux de pipes à tabac.
La partie centrale est encadrée par quatre têtes qui, reliées au vase par de petites tiges, se détachent en très haut relief. Ces visages souriants et expressifs sont marqués par des stries horizontales. Ils sont surmontés d’une coiffe cheffale ajourée nommée mpelet, présente sur de nombreux objets de prestige. On observe un décor similaire sur une corne à boire conservée au musée ethnographique de Genève. Cette proximité de traitement suggère que ces deux œuvres auraient été coulées dans le même atelier au début du 20e siècle4.
Le reste du vase est orné de reliefs en méplat en formes de spirales, évocation stylisée de la toile d’araignée. La divination par la mygale est une pratique majeure au Cameroun. L’araignée, interrogée par le devin, permet de communiquer avec les forces spirituelles et ancestrales5.
Un objet de prestige
Les coupes et cornes étaient utilisées par la famille royale ou les chefs de lignage en tant que récipient rituel et cérémoniel6. Le vin de palme pouvait être bu ou versé en libation pour appeler les ancêtres7. Il s’agissait également d’un objet de prestige, marqueur du statut de son propriétaire8. La qualité esthétique et technique de l’objet, l’iconographie et le monopole royal sur les ateliers de fondeurs9 laissent penser que cet objet était dédié au roi10 ou à son entourage proche11.
Historique de l’œuvre et son parcours
Ce vase à boire12 fut acquis au début des années 1930 par Louis Carré (1897-1977)13, expert en orfèvrerie et galeriste à Rennes puis à Paris. En 1935, il prêta la coupe au MoMA de New-York dans le cadre de l’exposition African Negro Art14. Installé rue du Faubourg-Saint-Honoré puis villa Guibert, Louis Carré s’associa au marchand parisien Charles Ratton (1885-1986)15. Spécialisé dans l’étude des cours africaines, ce dernier acquiert la coupe auprès de son confrère. L’œuvre rejoignit ensuite la collection de Paolo Morigi (1939-2017), ethnologue, ethnographe et académicien suisse auprès de l’académie Burckhardt à Rome. Grand amateur et collectionneur d’art africain, il s’est rendu plusieurs fois en Afrique afin d’y établir une documentation importante. Une partie de sa collection a été vendue par la maison de vente Sotheby’s à Paris le 6 juin 200516 dont la coupe Bamoun, acquise à cette occasion par Marc Ladreit de Lacharrière.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
- BASSANI Ezio in Collection Paolo Morigi Important Art Africain. Catalogue de vente Sotheby’s Paris, 6 juin 2005, lot n° 129.
- DAGEN Philippe et MURPHY Maureen, sous la dir., Charles Ratton. L’invention des arts « primitifs », Skira-Flammarion-Musée du quai Branly, Paris, 2013.
- EBBINGHAUS Susanne, MOLACEK Elizabeth. Horns as insignia in the Cameroon Grassfields in Animal-Shaped Vessels from the Ancient World: Feasting with Gods, Heroes, and Kings p. 293-296. Harvard Art Museum, Cambridge, 2018.
- GEARY Christraud, Les choses du palais. Franz Steiner Verlag, GMBH, Wiesbaden, 1984.
- GEARY Christraud, Bamum. 5 Continent Editions, Milan, 2011.
- HARTER Pierre, Arts Anciens du Cameroun. Arts d’Afrique noire, Arnouville, 1986.
- HOMBERGER Lorenz, GEARY Christraud, KOLOSS Hans-Joachim, Cameroon Art and Kings. Rietberg Museum, Zurich, 2008.
- JONES Erica P., « Dîner avec les rois. Cérémonie et hospitalité dans les Grassfields camerounais », in Tribal Art Magazine, n°87, printemps 2018, pp. 90-97.
- JOUBERT Hélène, sous la dir., Éclectique une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly-Jacques Chirac/ Flammarion, Paris, 2016.
- LOUMPET-GALITZINE Alexandra, Njoya et le Royaume Bamoun : les archives de la Société des missions évangéliques de Paris, 1917-1937. Karthala, Paris, 2006.
- LOUMPET-GALITZINE Alexandra, Représentation de soi dans les dessins et photographie Bamoun dans les collections du Musée du quai Branly -Jacques Chirac, [Rapport de recherche] Musée du quai Branly- Jacques Chirac, 2016. Disponible en ligne : hal-02188598https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02188598
- PERROIS Louis, NOTUE Jean-Paul, Rois et sculpteurs de l’ouest Cameroun. La panthère et la mygale. Karthala, Orstom , 1997, Paris.
- PERROIS Louis (et al.), Les rois sculpteurs : art et pouvoir dans le Grassland camerounais. Legs Pierre Harter, Musée national des arts africains et océaniens, Réunion des musées nationaux, Paris, 1993.
- TARDITS Claude, Le Royaume Bamoun. Compte rendu dans Le Journal des Africanistes 48-2, 1978, pp. 169-172.
- TARDITS, L’histoire singulière de l’art bamoun, Afredit/ Maisonneuve & Larose, 2004.
- VON LINTING Bettina, « Photographies de la Guinée française et du Cameroun » in Tribal Art Magazine, n° 90, hiver 2018, pp.130-143.
- WARNIER Jean-Pierre, Régner au Cameroun. Le Roi-Pot, Karthala, Paris, 2009.