Statue masculine assise asie usu
Baoulé, Côte d’Ivoire
Les statues asie usu servent de réceptacle aux esprits de la nature souhaitant entrer en contact avec le monde des humains. Représenté assis sur un siège d’apparat, ce personnage masculin soigneusement coiffé et à la barbe tressée affirme l’opulence de son statut social.
Statue masculine assise asie usu
- Population Baoulé
- République de Côte d’Ivoire
- 19e siècle
- Bois à patine sombre, perles
- 41,5 x 9 x 11 cm
Provenance
- Ancienne collection Georges de Miré (1890-1965), Paris.
- Paris Hôtel Drouot, étude Bellier, Collection G. de Miré. Sculptures anciennes d’Afrique et d’Amériques, 16 décembre 1931, n° 24.
- Ancienne collection française, 1931-1972.
- Paris Hôtel Drouot, étude Ader-Picard-Tajan, Collection Geneviève Rodier et divers amateurs, 31 mai 1972, n° 97.
- Ancienne collection Georges Frederick Keller (1899-1981), Paris (Inv. GFK 150), 1972-1981.
- Ancienne collection Paolo Morigi (1939-2017), Lugano, 1981-2005.
- Sotheby’s, Paris, 6 juin 2005, lot n° 90.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.7). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Les Baoulé occupent une vaste région constituée de savanes arborées au centre de la République de Côte d’Ivoire.
Servant de support de médiation avec des forces invisibles, la statuaire baoulé répond à un usage personnel ou publique, notamment dans le cadre de pratiques divinatoires permettant d’établir un lien avec les esprits de la nature appelés usu ou busu 1.
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1 Boyer, 2008, p. 20.Les esprits de la nature
Les statuettes dénommées asie usu sont élaborées pour servir de réceptacles à des esprits de la nature. Ces esprits ou génies vivent généralement dans la brousse à proximité des points d’eau et des arbres2. Imprévisibles et facétieux, ils peuvent interférer à tout moment dans la vie des hommes et générer des maux de toutes sortes3.
Possession et divination
Les crises de possession se manifestant de manière chronique signifient qu’un génie de la nature a choisi de posséder un homme ou une femme de manière définitive afin d’en faire des « manipulateur[s] du sacré »4. Ces derniers accèdent alors au statut de devin-guérisseur (komyen). Les statuettes d’asie usu sont généralement conservées sur un autel ou dans un coin d’une pièce avec d’autres objets rituels constituant le matériel d’officiant du devin-guérisseur.
Lors des séances de divination, la statuette est placée au sol, et généralement recouverte d’un tissu. Le devin utilise un gong et un petit marteau lawle pour inviter les génies à se manifester, avant d’entrer lui-même dans un état de transe5.
Des signes de pouvoir
Le léger embonpoint, au niveau de la zone ventrale, est synonyme de richesse et de statut social élevé. Le personnage caresse sa longue barbe tressée, image méditative évoquant l’introspection, la sagesse, et la dignité6. Il s’agit d’une représentation de la petite barbiche akenza kpli portée par les notables7. Les scarifications8, présentes notamment sur les épaules et le cou du personnage, sont une marque de beauté.
Particulièrement rare9, la position de la figure, assise sur un siège, souligne l’importance de cet élément considéré comme l’autel sacré des ancêtres chez les Baoulé10. L’usage de ce type de siège témoigne de l’influence de la culture matérielle akan.
6 Boyer in Joubert (dir), 2016, p. 136.
7 Boyer in Joubert (dir), 2016, p. 136.
8 Dans le haut du dos et sur le front de la statuette, on observe par exemple la scarification en demi-cercle appelée ngwa (lune). Vogel in Rubin, 1997, p. 105.
Historique de l’œuvre et son parcours
Cette statue baoulé fit partie de l’ancienne collection du peintre Georges de Miré (1890-1965), en partie présentée en 1923 lors de l’exposition « L’art indigène des colonies françaises » au Pavillon de Marsan, à Paris. En 1930, elle fut présentée à l’exposition d’art africain et océanien de la Galerie du théâtre Pigalle, organisée à Paris par Tristan Tzara, Pierre Loeb et Charles Ratton. Comprenant 425 œuvres africaines et océaniennes, cette exposition se proposait de développer une nouvelle approche esthétique des arts dits primitifs.
Après avoir passé près de quarante ans dans une collection française inconnue, la statue intégra en 1972 la collection de Georges Frederick Keller (1899-1981)11. G. F. Keller, marchand d’art moderne à Paris puis à New York dans les années 1930, constitue, dès l’âge de 19 ans, une collection d’art africain. En 1980, il présente 319 objets dont cette statuette au musée des Beaux-Arts de Berne. Le choix des œuvres et la rédaction du catalogue Raccolta di un amatore d’arte primitiva furent confiés à son ami Paolo Morigi (1939-2017). Ce dernier acquiert la statuette en 1989 avant de s’en séparer en 2005, date à laquelle la statue asie usu baoulé rejoignit la collection de Marc Ladreit de Lacharrière.
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Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
BARBIER Jean-Paul (Dir.), Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections Barbier-Mueller, Genève, 1993, vol. I et II.
BARBIER-MUELLER Jean-Paul, PURISSIMA BENITEZ Johannot (Dir.), Sièges d'Afrique noire du musée Barbier-Mueller, Milan, 5 Continents, Musée Barbier-Mueller, 2003.
BOCOLA Sandra (Dir.), Sièges africains, Paris, Editions de la Réunion des Musées nationaux, 1994.
BOYER Alain-Michel, « Miroirs de l’invisible : la statuaire baoulé » in Arts d’Afrique Noire, 1982, n° 44, pp. 30-46 ; n° 45, pp. 21-34.
BOYER Alain-Michel, « L’art baoulé » in BARBIER Jean-Paul, Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections Barbier-Mueller, Genève, 1993, vol. I, pp. 302-367.
BOYER Alain-Michel, Les Arts d’Afrique, Paris, Hazan, 2006.
BOYER Alain-Michel, Baule, Milan, 5 Continents, 2008.
BOYER Alain-Michel, « L’Afrique et la pérennité de l’immatériel » in Arts & Cultures, Genève, 2017, pp. 115-116.
FISCHER Eberhard et MAYER-HIMMELHEBER Clara, Die Kultur der Baule : Fotodokumentation an der Elfenbeinküste 1933 + 34/35 von Hans Himmelheber mit Martin Lippmann, Museum Rietberg, Zürich, 1997.
FISCHER Eberhard et HOMBERGER Lorenz, Les Maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire, Paris, Musée du quai Branly, Skira, 2015.
GARRARD Timothy, « Les Baoulé : une introduction » in BARBIER Jean-Paul (Dir), Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections Barbier-Mueller, Genève, 1993, vol. I, pp. 290-301.
HOURDÉ Charles Wesley et ROLLAND Nicolas, Galerie Pigalle. Afrique Océanie, Paris, Somogy, 2018.
JOUBERT Hélène (Dir.), Éclectique : Une collection du XXIe siècle, Paris, Musée du Quai Branly - Jacques Chirac, Flammarion, 2016, pp. 136-138.
LOUCOU Jean-Noël, « Entre l’histoire et la légende : l’Exode des Baoulé au XVIIIe siècle » in Afrique-Histoire, 5, 1982, pp. 43-50.
LOUCOU Jean-Noël, Histoire romancée de la Reine Poku, Paris/Dakar/Abidjan, ABC, NEA, 1977.
MORIGI Paolo, Raccolta di un amatore d'arte primitiva, Bern, Kunstmuseum, 1980.
RAVENHILL Philip, Baule Statuary Art : Meaning and Modernization, Philadelphie, Institute for the Study of Human Issues, Working Papers in the Traditionnal Art #5, 1980.
VOGEL M. Susan, L’art baoulé du visible et de l’invisible, Paris, Adam Biro, 1999.
VOGEL M. Susan, « Beauty in the Eyes of the Baule : Aesthetics and Cultural Values », Philadelphia, Institute for the Study of Human Issues, Working Papers in the Traditionnal Art #6, 1980.
VOGEL M. Susan, « Baule scarification : The Mark of Civilisation » in RUBIN Arnold, Marks of Cililization : artistic transformations of the human body, Los Angeles, Museum of Cultural History, University of California, 1988, pp. 97-105.
Catalogues de ventes
Paris, Hôtel Drouot, Collection G. de Miré, Sculptures anciennes d'Afrique et d'Amérique du 16 décembre 1931.
Paris, Hôtel Drouot, Collection de Geneviève Rodier et appartenant à divers, 31 mai 1972.
Sotheby’s Paris, Collection Paolo Morigi, 6 juin 2005.