Statue masculine asie usu
Baoulé, Côte d’Ivoire
Cette statue masculine tient ses mains de part et d’autre du nombril en un geste qui évoque la bienvenue et le respect. Les statues asie usu servent de réceptacles aux esprits souhaitant entrer en contact avec le monde des humains. Ces esprits, très laids, ne se lient qu’aux statues ayant les qualités esthétiques qui leur conviennent.
Statue masculine asie usu
- Population Baoulé
- République de Côte d’Ivoire
- 19e siècle
- Bois
- 50 x 12 x 12 cm
Provenance
- Ancienne collection française.
- Loudmer, Paris, Arts primitifs, 2 juillet 1987, lot n° 228.
- Ancienne collection Alain de Monbrison, Paris.
- Ancienne collection Doris et Eric Beyersdorf, New York.
- Christie’s, Londres, The Doris and Eric Beyersdorf Collection of African Art, 29 juin 1994, lot n° 5.
- Ancienne collection privée, Paris.
- Galerie Alain de Monbrison, Paris.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.28). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Installés au centre de la République de Côte d’Ivoire, les Baoulé (ou Baule) partagent une conception du monde marquée par des relations complexes entre l’univers des hommes et celui des esprits de la nature appelés usu ou busu.
Les esprits de la nature
Contrairement aux statuettes de chasse bu usu, généralement plus frustres et recouvertes d’une patine sacrificielle croûteuse, les statuettes d’asie usu, qu’il est parfois difficile de différencier des statuettes de conjoints mystiques blolo bla ou blolo bian, sont de facture soignée.
Les esprits ou génies de la nature sont considérés comme des émanations de la déesse Terre Asiè1. Contrariés, souffrant d’ennui ou se prenant « d’affection » pour un homme ou une femme, ces esprits peuvent prendre possession de leur corps afin d’entrer en contact avec le monde des humains. Il est alors recommandé de faire sculpter une ou plusieurs statuettes2. La statuette devient le réceptacle du génie qu’il faudra régulièrement honorer par des sacrifices. En contrepartie, le génie s’engage à protéger la personne contre les présences surnaturelles. Utilisée en contexte divinatoire, le devin active la statuette au cours d’une cérémonie pour prévoir l’avenir, déceler des dangers éventuels ou encore établir des diagnostics médicaux3.
2 Boyer, 2008, p. 34.
3 Boyer, 2008, pp. 35-36.
Une quête de la Beauté
Décrits généralement comme effroyablement laids, les génies de la nature décident d’apporter aide et soutien aux humains avec lesquels ils se lient à condition que la statuette réalisée soit conforme à leurs désirs4.
Les épaules robustes sont un signe de puissance, tandis que le collier de barbe, finement sculpté, valorise la maturité5. Enfin des petites cornes, presque imperceptibles dans la chevelure tressée, pourraient évoquer les cornes utilisées pour contenir des médicaments ou substances magiques.
4 Il s’agit tout autant de l’essence de bois utilisée que des caractéristiques physiques de la statuette. Boyer, 2006, p. 143.
5 Boyer, 2008, n° 31, p. 151.
Émergeant du torse, deux seins naissants donnent un caractère androgyne à la statuette, évocation de la complétude par l’union des deux sexes6. Enfin le geste des deux mains délicatement posées de part et d’autre du nombril7 évoquerait un signe de bienvenue et d’estime que les génies esquissent lorsqu’ils croisent un devin avec lequel ils conclueront une alliance future8.
7 Boyer, 2008, pl. 22 et 29, p. 151.
8 Boyer in Barbier, 1993, Vol. I, p. 345.
La sophistication de la coiffure participe également à cette quête de perfection. Traitée avec une grande minutie, elle apporte un témoignage sur des modes anciennes9 comme ce chignon très élaboré constitué d’une structure conique au sommet du crâne (ko glo) et d’un double chignon (tre si koble)10 au niveau de la nuque11. Enfin la statuette a conservé son petit pagne (alakun), élément dont se débarrassaient généralement les marchands et les collectionneurs occidentaux.
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Historique de l’œuvre et son parcours
Conservée dans une collection privée française, cette statuette d’asie usu baoulé fut acquise à la fin des années 1980 par le marchand et collectionneur parisien Alain de Monbrison. Dans la lignée de sa mère Simone de Monbrison qui ouvrit une galerie spécialisée en art extra-européens et en archéologie à la fin des années 1960, Alain de Monbrison établit sa galerie en 1981, rue des Beaux-Arts, à Paris.
La statue fut ensuite achetée par les collectionneurs américains Doris et Eric Beyersdorf. Collectionnant essentiellement l’art moderne et contemporain, le couple découvrit l’art africain dans les années 1960, lors d’une visite à New York à Arman, artiste et collectionneur d’art africain.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
BARBIER Jean-Paul (Dir.), Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections Barbier-Mueller, Genève, 1993, vol. I et II.
BOYER Alain-Michel, « Miroirs de l’invisible : la statuaire baoulé » in Arts d’Afrique Noire, 1982, n° 44, pp. 30-46 ; n° 45, pp. 21-34.
BOYER Alain-Michel, « L’art baoulé » in BARBIER Jean-Paul, Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections Barbier-Mueller, Genève, 1993, vol. 1, pp. 302-367.
BOYER Alain-Michel, Les Arts d’Afrique, Paris, Hazan, 2006.
BOYER Alain-Michel, Baule, Milan, 5 Continents, 2008.
BOYER Alain-Michel, « L’Afrique et la pérennité de l’immatériel » in Arts & Cultures, Genève, 2017, pp. 115-116.
FISCHER Eberhard et MAYER-HIMMELHEBER Clara, Die Kultur der Baule : Fotodokumentation an der Elfenbeinküste 1933 + 34/35 von Hans Himmelheber mit Martin Lippmann, Museum Rietberg, Zürich, 1997.
FISCHER Eberhard et HOMBERGER Lorenz, Les Maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire, Paris, Musée du quai Branly, Skira, 2015.
GARRARD Timothy, « Les Baoulé : une introduction » in BARBIER Jean-Paul (Dir), Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections Barbier-Mueller, Genève, 1993, vol. 1, pp. 290-301.
GOY Bertrand, Côte d’Ivoire. Premiers regards sur la sculpture 1850-1935, Paris, Editions Schoffel Valluet, 2012.
HOURDÉ Charles Wesley et ROLLAND Nicolas, Galerie Pigalle. Afrique Océanie, Paris, Somogy, 2018.
JOUBERT Hélène (Dir.), Éclectique : Une collection du XXIe siècle, Paris, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Flammarion, 2016, pp. 124-126.
LOUCOU Jean-Noël, « Entre l’histoire et la légende : l’Exode des Baoulé au XVIIIe siècle » in Afrique-Histoire, 5, 1982, pp. 43-50.
LOUCOU Jean-Noël, Histoire romancée de la Reine Poku, Paris/Dakar/Abidjan, ABC, NEA, 1977.
MORIGI Paolo, Raccolta di un amatore d'arte primitiva, Bern, Kunstmuseum, 1980.
RAVENHILL Philip, Baule Statuary Art : Meaning and Modernization, Philadelphie, Institute for the Study of Human Issues, Working Papers in the Traditionnal Art #5, 1980.
VOGEL M. Susan, L’art baoulé du visible et de l’invisible, Paris, Adam Biro, 1999.
VOGEL M. Susan, « Beauty in the Eyes of the Baule : Aesthetics and Cultural Values », Philadelphia, Institute for the Study of Human Issues, Working Papers in the Traditionnal Art #6, 1980.
VOGEL M. Susan, « Baule scarification : The Mark of Civilisation » in RUBIN Arnold, Marks of Cililization : artistic transformations of the human body, Los Angeles, Museum of Cultural History, University of California, 1988, pp. 97-105.
Catalogues de ventes
Loudmer, Paris, Arts primitifs, 2 juillet 1987, lot n° 228.
Christie’s, Londres, The Doris and Eric Beyersdorf Collection of African Art, 29 juin 1994, lot n° 5.