Statue hermaphrodite
Dogon, Mali

Figure aux bras levés, dotée de seins et d’un sexe masculin, cette statue hermaphrodite interroge par son ambivalence sexuelle la séparation des genres. La différenciation sexuelle n’est effective qu’après l’excision et la circoncision. La posture bras levés vers le ciel pour appeler la pluie est un trait commun entre la statuaire tellem et dogon.

 

Statue hermaphrodite

  • Dogon
  • Mali
  • Entre 1620 et 1660
  • Bois, matières organiques, patine croûteuse
  • 71 × 9,5 × 12 cm, 1500 g

Provenance

  • Samba Kamissoko, Bamako.
  • Henri Kamer, Paris.
  • Hélène Leloup, Paris.
  • Ancienne collection Monsieur et Madame Kerbouc’h.
  • Ancienne collection Monsieur et Madame Périnet.
  • Galerie Alain de Monbrison, Paris.
  • Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris, depuis 2016.
  • Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2018.3.2). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.

Contexte d’origine de l’œuvre

Situé à l’est du Mali et au nord-ouest du Burkina Faso, le pays dogon s’étend sur près de mille kilomètres. 
Originaires du Mandé, les Dogon auraient atteint la région de Bandiagara au 14e siècle1. Différents groupes, issus de mouvements migratoires étaient établis avant l’arrivée des Dogon. Installés dans la région centrale, les Tellem sont chassés ou assimilés, abandonnant dans leur fuite de nombreux objets, appartenant au matériel funéraire ou cultuel2. La réutilisation des artefacts ou leur réplique a favorisé une continuité artistique entre les productions tellem et les productions dogon, rendant l’attribution parfois difficile.

Carte du pays dogon © Thierry Renard
Carte du pays dogon © Thierry Renard
Carte du pays dogon © Thierry Renard
Carte du pays dogon © Thierry Renard
Carte des étapes du peuplement du pays dogon © Thierry Renard

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Les recherches archéologiques menées dans les années 1970 ont permis de définir une chronologie du peuplement de la falaise de Bandiagara, dans la région de Sanga : Tellem (10e-16e siècle), Tellem-Dogon (14e-17e siècle), Dogon (17e-20e siècle). Voir BEDAUX R., 1988.
2 Ces objets étaient conservés dans des habitations de type troglodytique, creusées dans les falaises.

Champs d’oignons et de piments. Falaise de Bandiagara, Mali. 1972. Photographie de Francine N’Diaye. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris (PF0167925) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Champs d’oignons et de piments. Falaise de Bandiagara, Mali. 1972. Photographie de Francine N’Diaye. Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (PF0167925). © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Habitations dogon. Falaise de Bandiagara, Mali. 1975. Photographie de Gaby Kocher. Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (PF0174943) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Habitations dogon. Falaise de Bandiagara, Mali. 1975. Photographie de Gaby Kocher. Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (PF0174943). © Musée du quai Branly - Jacques Chirac

Style et datation

Cette statue représente un personnage, debout, dans une position frontale, les bras levés au-dessus de la tête dans le prolongement du corps, paumes tournées vers le ciel. Des jambes courtes et robustes contrastent avec un buste longiligne, marqué par un ombilic saillant et des seins en obus. La présence d’un sexe masculin, souligne l’ambivalence de l’être humain chez les Dogon, dont les caractères sexuels ne sont pleinement féminins ou masculins qu’après les rituels d’excision et circoncision. Les figures hermaphrodites renvoient aux géniteurs de l’humanité, génies à la fois mâles et femelles.
L’ensemble est recouvert d’une épaisse patine croûteuse, formée par la minéralisation des substances sacrificielles. La datation de cette statue par l’analyse au carbone 14 situe sa réalisation entre 1620 et 16603. D’après la chronologie, cette figure pourrait être attribuée aux Dogon.

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Méthode de datation fondée sur la mesure de l'activité radiologique du carbone 14 (14C) contenu dans la matière organique dont on souhaite connaître l'âge absolu, c'est-à-dire le temps écoulé depuis la mort de l'organisme (animal ou végétal) qui le constitue. Datation au C14 établie par Poznań Radiocarbon Laboratory le 22 septembre 2020.
 

La statuaire aux bras levés

Cette sculpture appartient au corpus dit « aux bras levés ». Cette posture se retrouve sur de nombreux objets utilitaires tels que les serrures, les portes de greniers ou encore les sièges à caryatides.
Cette iconographie donne lieu à plusieurs hypothèses. Geste d’imploration, il pourrait s’agir d’une prière adressée à Amma, le créateur céleste, ou d’un appel à la pluie. Cette position pourrait également signifier un geste d’excuse, lié à une faute ancestrale qui aurait entraîné la sécheresse dans la région4
Dans cette région aride, la pluie est essentielle. Les Dogon ont su organiser un système agricole qui leur permet de vivre de la culture céréalière (millet, sorgho, riz) et du maraichage (oignons, piments…). Des sacrifices étaient réalisés, notamment au moment des plantations et à l’occasion des récoltes5

Statue aux bras levés. Pays tellem ou dogon, Mali/Burkina Faso, 15e-16e siècle. Ancienne collection du musée de l'Homme (mission Paulme-Lifshitz, 1935). Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. 71.1935.105.173) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Statue aux bras levés. Pays tellem ou dogon, Mali/Burkina Faso, 15e-16e siècle. Ancienne collection du musée de l'Homme (mission Paulme-Lifshitz, 1935). Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. 71.1935.105.173) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Statue aux bras levés. Pays tellem ou dogon, Mali/Burkina Faso. 14e-16e siècle. Ancienne collection du musée de l'Homme (mission Paulme-Lifshitz, 1935), Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. 71.1935.105.158) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Statue aux bras levés. Pays tellem ou dogon, Mali/Burkina Faso. 14e-16e siècle. Ancienne collection du musée de l'Homme (mission Paulme-Lifshitz, 1935), Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. 71.1935.105.158) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Volet de grenier. Village de Toupéré, pays dogon, Mali, 19e siècle (?). Ancienne collection du musée de l'Homme (mission Louis Desplagnes, 1904-1905), Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. 71.1906.3.52) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac,  photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Volet de grenier. Village de Toupéré, pays dogon, Mali, 19e siècle (?). Ancienne collection du musée de l'Homme (mission Louis Desplagnes, 1904-1905), Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. 71.1906.3.52) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac,  photo Thierry Ollivier, Michel Urtado
Siège. Dogon, Mali. Bois et pigments. 16e siècle. H. : 33 cm. Fondation Dapper. Ancienne collection Lester Wunderman. Inv. n°0119 © Musée Dapper / Photo Hughes Dubois
Siège. Dogon, Mali. Bois et pigments. 16e siècle. H. : 33 cm. Fondation Dapper. Ancienne collection Lester Wunderman. Inv. n°0119 © Musée Dapper / Photo Hughes Dubois

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4 FALGAYRETTES-LEVEAU C., 1994, p. 63.
5 BEDAUX R. et VAN DER WAALS J.D., 2003, pp. 15-36.

 Les forgerons-sculpteurs

La zone soudanaise sahélienne est riche en minerais ferreux, ce qui a permis le développement des activités métallurgiques dans la région6. La production d’outils est indispensable à l’essor agraire. Comme chez leurs voisins de la boucle du Niger (Mossi, Kurumba, Bambara, Bobo…), les forgerons dogon se chargent également de sculpter le bois. D’après la tradition orale, les forgerons descendraient de l’ancêtre mythique qui a donné à l’humanité les premières graines et les outils pour cultiver la terre. Ainsi, les forgerons bénéficient d’une place privilégiée au sein de la société dogon7.

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NDIAYE F., 1995, pp. 76-77.
LA GAMMA A., 2020, pp. 176-177
 

Historique de l’œuvre et son parcours

Commissaire d’exposition et historienne de l’art, Hélène Kamer-Leloup est d’abord une galeriste spécialisée dans les arts extra-occidentaux, puis quasi exclusivement l’Afrique. À ce titre, elle a développé par goût personnel une spécialité sur la culture dogon. En 1957 et 1958, les époux Kamer entreprennent un long voyage de collecte d’objets pour le marché de l’art occidental, en Afrique de l’ouest en Guinée puis au Mali en 1958 où ils découvrent le pays dogon et se rendent ensuite en Côte d’Ivoire. Ils acquièrent de nombreux objets, traitant toujours avec des marchands d'art africains, notamment les grands antiquaires maliens. En 1965, elle entreprend un important voyage qui la mènera, pour la deuxième fois, en pays dogon. C’est probablement à cette occasion qu’elle acquiert cette statue auprès d’un antiquaire de Bamako, Samba Kamissoko. En 1966, elle divorce d’Henry Kamer et rentre à Paris où elle ouvre sa galerie du quai Malaquais avec Philippe Leloup. Après un passage dans différentes collections privées parisiennes la statue est revendue par la galerie Monbrison au collectionneur Marc Ladreit de Lacharrière, en 2016.

Bibliographie sélective et cartographie 

Cartes

Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.

Publications

BEDAUX Rogier, « Tellem and Dogon Material Culture », African Arts, Vol. 21, n° 4, 1988.

BEDAUX Rogier et VAN DER WAALS J.D. (sous la dir.), Regards sur les Dogon du Mali, Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leyde, Éditions Snoek, Gand, 2003.

CALAME-GRIAULE Geneviève, Ethnologie et Langage la parole chez les Dogon, Gallimard, Paris, 1965.

DIETERLEN Germaine et GRIAULE Marcel, Le renard pâle, Institut d’ethnologie, Paris, 1965.

EZRA Kate, Art of the Dogon. Selections from the Lester Wunderman Collection, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1988.

EZRA Kate, “The Art of the Dogon”, African Arts, Vol. 21, n° 4, 1988.

FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane (sous la dir.), Dogon, Éditions Dapper, Paris, 1994.

FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane (sous la dir.), Chefs-d’œuvre d’Afrique dans les collections du musée Dapper, Éditions Dapper, Paris, 2015.

GRIAULE Marcel, Dieu d’eau, entretiens avec Ogotemmêli, Éditions du Chêne, Paris, 1948.

HOMBERGER Lorenz, EZRA Kate, GALLAY Alain et al., Die Kunst der Dogon, Museum Rietberg, Zurich, 1995.

JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique : une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly - Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.

LA GAMMA Alisa (sous la dir.), Sahel. Art and Empires on the Shores of the Sahara, The Metropolitan Museum of Art, New York, Yale University Press, New Haven & London, 2020.

LANGLOIS Pierre, Art soudanais. Tribus dogons, Éditions de la connaissance, Bruxelles et Lille, 1954.

LAUDE Jean, « La statuaire du pays Dogon », Revue d’Esthétique, t. XVII, fasc.1 et 2, janvier-juillet 1964.

LELOUP Hélène (sous la dir.), Statuaire Dogon, Éditions AMEZ, Paris, 1994.

LELOUP Hélène (sous la dir.), Dogon, Musée du quai Branly - Jacques Chirac/SOMOGY, Paris, 2011.

NDIAYE Francine, L’Art du pays dogon dans les collections du musée de l’Homme, Museum Rietberg, Zurich, 1995.

SCHMIDT Johann-Karl (sous la dir.), Chefs-d’œuvre de la statuaire dogon, Galerie der Stadt Stuttgart, 1998.