Statue féminine Tshokwé
Angola
Cette statue féminine exécute le geste taci, associé à la figure du chef. Dans la statuaire tshokwé dite « du pays d’origine » (18e-19e siècle), les représentations de femmes associées au pouvoir sont très rares. Cette figure féminine représente sans doute une Reine Mère ou la légendaire princesse Lueji.
Statue féminine
- Population Tshokwé
- Angola
- 19e siècle
- Bois (main droite et talons restaurés)
- 41 x 11 x 12,5 cm
Provenance
Collectée par le médecin militaire portugais Joaquim Romao en 1894.- Ancienne collection Carlos Romao, Lisbonne.
- Ancienne collection Marc L. Félix, Bruxelles.
- Galerie Ratton-Hourdé, Paris.
- Galerie Alain de Monbrison, Paris.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.27). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Cette figure féminine aux volumes affirmés est représentative de l’art de cour des Tshokwé qui exaltait la puissance politique et religieuse de la royauté sacrée. Elle se rattache à la statuaire ancienne dite classique ou « du pays d’origine » datée entre le 18e et le début du 19e siècle1, par opposition au style dit « de l’expansion » qui se développe dans la seconde moitié du 19e siècle2.
2 Idem, p. 253.
Mythe des origines et expansion territoriale
Selon les traditions orales, les Tshokwé ou Chokwe, peuple d’agriculteurs et de chasseurs, sont présents depuis le 16e siècle dans la région du plateau de Musamba au centre de l’Angola. Leur origine supposée est profondément liée au mythe du héros civilisateur Chibinda Ilunga3. Fils du roi luba, ce dernier épousa la femme-chef du royaume lunda, nommée Lueji. Cette union engendra une scission et une partie de l’aristocratie lunda, hostile à cette alliance, quitta le territoire. Ils se déplacèrent vers l’ouest où ils fondèrent, au-delà du fleuve Kasaï, le royaume Uchokwé, constitué de plusieurs chefferies.
Les Tshokwé se répartissent sur une vaste zone, entre le nord-est de l’Angola, le sud-est de la République Démocratique du Congo et le nord-ouest de la Zambie. Malgré cette dispersion géographique, les Tshokwé partagent les mêmes caractéristiques linguistiques (langues bantoues), socio-culturelles (système matrilinéaire) et cultuelles (société initiatique).
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De l’exaltation des chefs à la représentation de la Reine Mère
Cette statue féminine se caractérise par des volumes massifs et vigoureux magnifiés par une patine sombre, une tête imposante aux traits marqués, un cou et des épaules robustes, des mains et des pieds disproportionnés symbolisant à la fois force, adresse et endurance, en référence au héros fondateur. Les pieds solidement ancrés au sol et les genoux légèrement fléchis, position récurrente dans la statuaire tshokwé, évoquent l’équilibre et l’harmonie garantis par le pouvoir. Le geste « taci » – mains ouvertes et légèrement écartées au niveau de l’abdomen – ainsi que la représentation du chapeau cérémoniel à ailettes recourbées mutwe wa kanyanda 4 soulignent l’importance de la figure du chef.
Considérés comme des êtres sacrés dotés de pouvoirs surnaturels, les chefs étaient garants de la fertilité et de la pérennité de l’ensemble de la communauté. Plus rares, les représentations féminines évoqueraient la princesse Lueji. Il pourrait aussi s’agir d’un portrait de la Reine Mère ou de l’épouse principale du chef, célébrant par extension le système de transmission matrilinéaire au cœur de la société tshokwé5.
Objets commémoratifs, représentations génériques d’ancêtres ou évocations du héros mythique, la fonction précise de ces statuettes reste hypothétique. La dotation de certaines statues d’une ou plusieurs cornes d’antilope chargées de substances magiques pourrait également suggérer un usage magico-religieux6.
Historique de l’œuvre et son parcours
Cette effigie féminine fut collectée par le médecin militaire portugais Joaquim Romao en 1894. Transmise par descendance, elle resta à Lisbonne jusqu’en 1978 date à laquelle elle fut acquise par le marchand et expert bruxellois Marc L. Félix, grand spécialiste des arts d’Afrique centrale. Plus de cent ans après son arrivée en Europe, elle fut acquise auprès du galeriste parisien Alain de Monbrison par Marc Ladreit de Lacharrière.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
BASTIN Marie-Louise, Art décoratif tshokwe, Dundo, Lisbonne, Companhia de Diamantes de Angola, 2 vol., 1961a.
BASTIN Marie-Louise, « Les styles de la sculpture tshokwe » in Arts d’Afrique Noire, 1976, n° 19, pp. 16-25.
BASTIN Marie-Louise, La sculpture Tshokwe, Meudon, Edition Alain et Françoise Chaffin, 1982.
BASTIN Marie-Louise, Sculptures angolaises : mémorial de cultures, Milan, Electa, 1994.
CAPELLO Hermenegildo Carlors de Brito et IVENS Roberto, De Benguella ás Terras de Iácca. Descripção de uma Viagem na Africa Central e Occidental, Lisbonne, Imprensa Nacional, 2 vol., 1881.
CARDOSO A. da Fonseca, Em Terra do Moxico (Apontamentos d’Etnografia angolese), Porto, Trabalhos da Sociedade Portuguesa de Antropologia e Etnologia, 2 vol., 1919 (1ère édition 1903).
CARVALHO Henrique Augusto Dias de, Ethnographia de Historia Tradicional do Povos da Lunda, Lisbonne, Imprensa Nacional, 8 vol., 1889-1894.
COSTA Albert (Dir.), África : la figura imaginada, Palma, Fondación La Caixa, 2004.
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JOUBERT Hélène (Dir.), Éclectique : Une collection du XXI e siècle, Paris, Musée du Quai Branly - Jacques Chirac, Flammarion, 2016.
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