Statue féminine Sénoufo
Côte d'Ivoire/Mali [?]
Cette statue féminine est représentée debout, les bras le long du corps, les pieds de part et d’autre d’une base conique. Les statues-pilons doogele servaient à scander les professions funéraires. Sa taille importante l’apparente aux statues poro pya, gardiennes des rites des sociétés d’initiation masculines poro.
Statue féminine Sénoufo
- Sénoufo, Côte d’Ivoire/Mali [?]
- 19e siècle
- Bois
- H. 84,5 cm ; l. 15 cm ; P. 13 cm
Provenance
- Acquise par Hélène Kamer au début des années 1960, Paris.
- Galerie Kamer, New York.
- Ancienne collection Roland de Montaigu, Paris/ New York.
- Ancienne collection Brian et Diane Leyden, New York.
- Sotheby’s, Collection Brian et Diane Leyden. Art Bété et Sénufo, Paris, 5 décembre 2007, lot 5.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.11). Dation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Le territoire sénoufo s’étend sur une vaste zone dite « des trois frontières », allant du nord de la Côte d’Ivoire au sud-ouest du Burkina Faso et au sud-est du Mali. L’appellation sénoufo1 rassemble une trentaine de sous-groupes aux dialectes différents. Installés dans une région de savane arborée, les Sénoufo cultivent notamment le mil, le riz, le maïs, l’igname, et le manioc.
2 L’ensemble de ces dialectes se rattache toutefois à la branche du groupe Gour, de la famille linguistique Niger-Congo.
Le poro
Les associations du poro sont des sociétés d’initiation masculines3 qui rassemblent les jeunes hommes par classes d’âge. Par la transmission des savoirs, elles participent au maintien des traditions et renforcent la cohésion sociale. Si le terme poro a largement été utilisé par les auteurs du 20e siècle pour décrire une pratique initiatique homogène et structurante de l’identité sénoufo4, il existe en réalité de nombreux poro, selon les régions, les sous-groupes et les corporations (forgerons, sculpteurs, agriculteurs…). Le poro est transculturel et excède largement les frontières du pays sénoufo. L’instruction, soumise au secret, est généralement dispensée par les anciens initiés, à l’écart du village, dans un espace réservé appelé le bois sacré. Outre cet enseignement, les initiés doivent participer aux tâches communes comme les travaux des champs ou l’abattage des arbres.
Les jeunes initiés sont également sollicités dans l’organisation des cérémonies funéraires. Les solennités s’étalent sur plusieurs jours. Chez certains groupes, des pagnes sont offerts en signe de condoléances. Les tissus sont ensuite cousus de manière à former un linceul pour la dépouille.
La taille importante de cette statue féminine laisse penser qu’il s’agissait d’une figure poro pya55 qui signifie « enfant du poro ». Fonctionnant parfois en couple, la statue était placée sous la surveillance des initiés, devant un abri (kpaala) sous lequel les rites étaient accomplis, face aux danseurs et aux musiciens. Cette statue pourrait aussi être une statue-pilon doogele, nommée ainsi par sa ressemblance avec les pilons à mortier utilisés pour moudre le mil. Ce type de statue était d’abord déposé par terre, à côté du linceul, puis utilisé en la frappant au sol pour accompagner en rythme la procession funéraire jusqu’à la tombe du défunt.
Ressource audio accessible en ligne via la médiathèque : https://archives.crem-cnrs.fr/archives/collections/CNRSMH_E_1985_001_001/
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4 Ibidem, pp. 186-190.
5 poro piibele au pluriel.
L’art de la sculpture chez les Sénoufo
Cette figure féminine est représentée débout, les bras le long du corps et les pieds placés de part et d’autre d’une base conique. La longueur du torse contraste avec la taille réduite des jambes. Le personnage porte un collier autour du cou et des anneaux de cheville. Le visage aux paupières closes et aux arcades sourcilières bien définies dessine une forme de cœur. Trois lignes parallèles sur chaque joue indiquent des scarifications. La figure est coiffée d’une petite crête sagittale.
On distingue deux catégories d’artisans produisant les objets du quotidien et les figures sculptées. Les Kulebele se consacrent uniquement à la sculpture sur bois, tandis que les Fonombele sont à la fois sculpteurs et forgerons. Le métier de sculpteur se transmet de génération en génération. Les jeunes sculpteurs suivent une formation auprès des artisans les plus expérimentés qui mettent à leur disposition les outils et un atelier6. Seuls quelques rares sculpteurs étaient spécialisés dans la statuaire de grande dimension, dont la fabrication pouvait s’avérer onéreuse. Le travail du métal, selon la technique de la fonte à la cire perdue, était l’apanage des fondeurs Kpeembele.
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Historique de l’œuvre et son parcours
Cette statue féminine a été acquise à Paris, au début des années 1960, par Hélène Kamer7, auprès d’un marchand malien. L’objet est présenté dans la galerie Kamer, à New York avant d’être vendue au collectionneur Roland de Montaigu. La statue passe ensuite dans les mains de Brian et Diane Leyden, un couple de collectionneurs new yorkais. Débutée en 1971, leur collection s’intéresse d’abord aux œuvres cubistes et surréalistes avant de se tourner progressivement vers l’art africain8. Rapidement, leur préférence va exclusivement aux arts de la Côte d’Ivoire. En 2007, une partie de leur collection fait l’objet d’une vente chez Sotheby’s Paris au cours de laquelle cette statue sera acquise par Marc Ladreit de Lacharrière.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
BARBIER Jean-Paul (dir.), Arts de la Côte d’Ivoire dans les collections du Musée Barbier-Mueller, tomes I et II, Musée Barbier-Mueller, Genève, 1993.
CASTELLANO Olivier, Sénoufo, galerie Olivier Castellano, Paris, 2014.
Catalogue Sotheby’s, Collection Brian et Diane Leyden. Art Bété et Sénufo, Paris, 5 décembre 2007.
Catalogue Sotheby’s, In Pursuit Of Beauty : The Myron Kunin Collection Of African Art, New York, 11 novembre 2014, lot 48.
CLARKE Christa (dir.), African Art in the Barnes Foundation. The Triumph of L’Art Nègre and the Harlem Renaissance, New York, Skira Rizzoli/Philadelphie, Barnes Foundation, 2015, pp. 94-95.
DREWAL Henry John, Shapes of mind : African Art from Long Island Collections, Hofstra University, Hempstead, New York, 1988, p.14.
FISCHER Ebehard et HOMBERGER Lorenz (dir.), Les Maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire, Skira/Musée du quai Branly, 2015, pp.151-178.
FOGEL Jonathan, « La collection d’art de la Côte d’Ivoire de Brian et Diane Leyden », in Tribal Art Magazine, n° 65, Automne 2012, pp. 114-119.
FÖRSTER Till et HOMBERGER Lorenz, Die Kunst der Senufo, Rietberg Museum, Zürich, 1988.
FÖRSTER Till, “Smoothing the Way of the Dead”, in Yale Art Bulletin, 2005, pp. 55-68.
FÖRSTER Till, “Dogele and poro piibele : Companions on the Journey to the Village of the Dead”, IV. Senufo figures, in Visual Encounters. Africa, Oceania and Modern Art, Fondation Beyeler/ Christoph Merian Verlag, Bâle, 2009.
GAGLIARDI Susan Elizabeth (dir.), Senufo sans frontières, The Cleveland Museum of Art/5 Continents, Milan, 2015.
GOLDWATER Robert, Senufo Sculpture from West Africa, The Museum of Primitive Art, New York, 1964.
GOTTSCHALK Burkhard, Sénoufo, Massa et les statues du poro, Verlag U. Gottschalk, « africa incognita », Düsseldorf, 2005.
GOTTSCHALK Burkhard, L’art du continent noir AFRIQUE. Senoufo. Trésors inconnus des collections privées, Verlag U. Gottschalk, « africa incognita », Düsseldorf, 2009.