Statue féminine agenouillée
Dogon, Mali
La posture agenouillée de cette statuette dege reproduit l’attitude des femmes dogon lors des enterrements et évoque le respect aux ancêtres. La coupelle sculptée sur la tête de la statuette permet le dépôt d’offrandes et de sacrifices afin de favoriser la circulation du nyama qui anime les êtres vivants.
Statue féminine agenouillée
- Dogon, Mali
- 19e siècle (?)
- Bois
- 25 x 5 x 5,5 cm
Provenance
- René Rasmussen (1912 ?-1979), Paris.
- Ancienne collection Hélène et Philippe Leloup, Paris.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.5). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Le territoire dogon se trouve dans la zone soudanaise sahélienne, entre le Mali et le Burkina Faso. La majeure partie de la population se concentre dans la région de Bandiagara, dominée par une haute falaise.
Les dege
Chez les Dogon, les sculptures figuratives portent le nom générique de « dege ». Ces dernières sont généralement associées au culte des ancêtres. Chaque famille appartient à un lignage, la ginna, regroupant tous les descendants d’une lignée masculine issue d’un même ancêtre. La ginna désigne également la maison du chef de lignage.
Les cultes familiaux
Ce type de statuette serait commandé au sculpteur par le chef de famille et serait destiné à l’autel familial1 dit wageu, construit sur le modèle de l’autel de la ginna. L’autel est établi sur la terrasse ou dans un endroit plus isolé de la maison de famille.
Les cultes familiaux sont accomplis par le patriarche. L’analyse de la patine montre des traces de sacrifice (sang de poulet) ainsi que des libations de bouillie de mil et des offrandes liquides comme la bière de dolo2. C’est l’accumulation des sacrifices et libations au cours du temps qui crée une patine plus ou moins épaisse.
Les matières sacrificielles permettent la circulation du nyama, la force vitale qui habite les vivants et qui assure leur bien-être. Le nyama se trouve dans tous les êtres vivants, plantes, animaux ou êtres surnaturels. Le sacrifice renforce le nyama de l’esprit honoré mais aussi celui de la personne qui effectue le sacrifice3.
Les figures sculptées sont perçues comme des intermédiaires entre les humains et les esprits. Elles permettent de concentrer l’attention du suppliant et de l’ancêtre (réel ou mythique) invoqué et de prolonger ainsi le contact spirituel entre eux : « On ne peut pas toujours prier et s’agenouiller devant un autel, mais une statue peut le faire4 ».
Une posture de déférence
Cette statuette représente une femme agenouillée, les fesses reposant sur les talons et les mains posées de part et d’autre de l’abdomen. Le visage est marqué par des arcades sourcilières saillantes et un nez droit en flèche, caractéristique de la statuaire dogon. Le personnage porte un labret à sa lèvre inférieure, dont l’extrémité rejoint le haut du torse. Sur le sommet de la tête, deux coupelles superposées servent de support aux offrandes. La thématique de la femme agenouillée est récurrente dans l’art du pays dogon. Attitude rituelle, cette pose exprime le respect et l’humilité face aux ancêtres. Les femmes dogon adoptent cette position lors des funérailles, en signe de reconnaissance et de gratitude vis-à-vis des défunts5 .
Historique de l’œuvre et son parcours
Cette statuette provient de la collection de l’éditeur et collectionneur René Rasmussen (1912?-1979). D’abord centrée sur l’art moderne, sa collection intègre, dès l’immédiate après-guerre, les arts d’Afrique. Il subventionne une mission dans le pays dogon, dirigée par l’éditeur et écrivain François Di Dio6. En 1959, il ouvre sa galerie d’art africain A.A.A., à Paris, avec l’aide de son épouse et de son ami Robert Duperrier. D’anciens administrateurs coloniaux et les antiquaires africains de passage à Paris comme Mamadou Sylla7 seront ses principaux fournisseurs d’objets.
La sculpture entre dans la collection des marchands Hélène et Philippe Leloup, à Paris. Experte de l’art des Dogon, Hélène Leloup a publié de multiples ouvrages sur le sujet. En 2011, elle fut la commissaire de l’exposition « Dogon » au musée du quai Branly - Jacques Chirac.
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Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
BAUDOIN, Gérard, Les Dogon du Mali, Armand Colin, Paris, 1984.
BEDAUX Rogier et VAN DER WAALS J.D. (sous la dir.), Regards sur les Dogon du Mali, Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leyde, Editions Snoek, Gand, 2003.
CALAME-GRIAULE Geneviève, Ethnologie et Langage la parole chez les Dogon, Gallimard, Paris, 1965.
DIETERLEN Germaine et GRIAULE Marcel, Le renard pâle, Institut d’ethnologie, Paris, 1965.
EZRA Kate, Art of the Dogon. Selections from the Lester Wunderman Collection, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1988.
EZRA Kate, “The Art of the Dogon”, African Arts, Vol. 21, n° 4, 1988.
FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane (sous la dir.), Dogon, Éditions Dapper, Paris, 1994.
FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane (sous la dir.), Chefs-d’œuvre d’Afrique dans les collections du musée Dapper, Éditions Dapper, Paris, 2015.
GRIAULE Marcel, Dieu d’eau, entretiens avec Ogotemmêli, Éditions du Chêne, Paris, 1948.
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JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly - Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.
LAUDE Jean, « La statuaire du pays Dogon », Revue d’Esthétique, t. XVII, fasc.1 et 2, janvier-juillet 1964.
LEHUARD Raoul, L’empreinte Noire, L’Harmattan, Paris, 2007.
LELOUP Hélène (sous la dir.), Statuaire Dogon, Éditions AMEZ, Paris, 1994.
LELOUP, Hélène et Philippe (commissariat sctfq.), Dege. L’héritage dogon. [exposition], Musée des Beaux-Arts de Nantes, Nantes, 1995.
LELOUP Hélène (sous la dir.), Dogon, Musée du quai Branly - Jacques Chirac/SOMOGY, Paris, 2011.
NDIAYE Francine, L’Art du pays dogon dans les collections du musée de l’Homme, Museum Rietberg, Zurich, 1995.
SCHMIDT Johann-Karl (sous la dir.), Chefs-d’œuvre de la statuaire dogon, Galerie der Stadt Stuttgart, 1998.