Plaque à l'Oba Ohen et deux assistants
Edo, Nigéria

Cette plaque ajourée représente l’Oba Ohen (1329-1366) entouré de deux assistants. Motif récurrent dans l’art edo, ce trio symbolise à la fois le pouvoir de l’Oba sur ses sujets et leur soutien, nécessaire au maintien de son autorité. Il est représenté avec des jambes de silure, qui évoquent sa paralysie, et l’assimilent à Olokun, dieu des eaux salées.

 

Plaque à l'Oba Ohen et deux assistants

  • Culture Edo, Royaume de Bénin, Nigéria
  • 18e siècle
  • Alliage cuivreux
  • 37,5 x 38 x 6 cm, 12 kg

Provenance

 
  • Ancienne collection Sidney Burney (? -1951), Londres.
  • Ancienne collection Louis Carré (1897-1977), Paris.
  • Ancienne collection Maurice Renou, Paris.
  • Galerie Alain de Monbrison, Paris.
  • Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
  • Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris (70.2018.3.1). Donation Groupe Marc Ladreit de Lacharrière.

Contexte d’origine de l’œuvre

Le royaume de Bénin se situait au sud-ouest du Nigéria, dans une vaste région forestière, non loin du Golfe de Guinée. D’après la tradition orale, la dynastie royale de Bénin aurait été fondée vers 1200, par le prince guerrier yoruba Oranmiyan, venu de l’ancienne cité sacrée d’Ifé. Cette nouvelle dynastie, dont le peuple est de langue et de culture edo, succède à une première période mythique nommée Ogiso.

Carte du Royaume de Bénin © Thierry Renard
Carte du Royaume de Bénin © Thierry Renard
Plan de Benin City © Thierry Renard
Plan de Benin City © Thierry Renard
Vestiges du fossé de la ville de Bénin, Nigéria, 2006 © Barbara Plankensteiner

Un art de cour au service de l’oba

L’art de cour, entièrement dédié à l’affirmation du pouvoir du roi divin l’Oba, s’épanouit au royaume de Bénin à partir de la fin du 15e siècle. L’Oba est un être sacré, intermédiaire privilégié entre son peuple et le monde spirituel. Il est le garant de la prospérité du royaume. L’Oba est entouré d’un conseil de chefs, les sept Uzama1, et de plusieurs sociétés hiérarchisées (Iwebo2, Iweguae3 et Ibiwe4) auxquelles sont attribuées des charges spécifiques nécessaires au bon fonctionnement du royaume.
L’Oba Esigie (1504-1547) est considéré comme le premier commanditaire de plaques rectangulairesen alliage cuivreux destinées à orner et commémorer le palais. Bien qu’il existe différentes hypothèses6, l’ordre dans lequel les plaques étaient disposées reste aujourd’hui inconnu.

Vue de la ville de Bénin. Reproduction photographique d'un dessin publié dans Henry Ling Roth (1854-1925), "Great Benin; its customs, art and Horrors", 1903. Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. PP0072263) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Vue de la ville de Bénin. Reproduction photographique d'un dessin publié dans Henry Ling Roth (1854-1925), "Great Benin; its customs, art and Horrors", 1903. Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (inv. PP0072263) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Plaque figurative représentant des soldats devant le palais royal. Alliage cuivreux. Nigéria, Royaume de Bénin, Edo, 16e-17e siècle. Musée ethnologique de Berlin (inv. III C 8377) © Ethnologisches Museum der Staatlichen Museen zu Berlin - Preußischer Kulturbesitz. Fotografin: Claudia Obrocki
Plaque figurative représentant des soldats devant le palais royal. Alliage cuivreux. Nigéria, Royaume de Bénin, Edo, 16e-17e siècle. Musée ethnologique de Berlin (inv. III C 8377) © Ethnologisches Museum der Staatlichen Museen zu Berlin - Preußischer Kulturbesitz. Fotografin: Claudia Obrocki
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1 Les Uzama étaient surnommés les « faiseurs de roi ». Avant l’instauration d’un système de succession de père en fils, les uzama avaient pour mission de nommer l’Oba.
2 Les iwebo sont responsables des insignes royaux (trône, cauris, perles et parures du roi). La plupart d’entre eux intervenaient également dans la résolution des litiges, au sein du royaume. DUCHÂTEAU A., 1990, p. 99.
3 Les iweguae sont chargés du service personnel du roi, tel que l’entretien de la maison et la gestion du personnel domestique. Idem.
4 Les ibiwe s’occupent des affaires concernant les femmes, les esclaves et les enfants. Idem.
5 Selon certains auteurs, les plaques figuratives témoigneraient d’influences étrangères telles que les gravures ou enluminures européennes.  Ibidem, p. 45.
6 D’après Kathryn Wysocki Gunsch, les plaques allaient probablement par paires. WYSOCKI GUNSCH K., 2018.
Palais de l’Oba. Ville de Bénin, Nigéria. 1970. Photographie Eliot Elisofon. Eliot Elisofon Photographic Archives, National Museum of African Art, Smithsonian Institution, Washington D.C. (inv. EEPA EENG 09075) © Eliot Elisofon Photographic Archives
Palais de l’Oba. Ville de Bénin, Nigéria. 1970. Photographie Eliot Elisofon. Eliot Elisofon Photographic Archives, National Museum of African Art, Smithsonian Institution, Washington D.C. (inv. EEPA EENG 09075) © Eliot Elisofon Photographic Archives - National Museum of African Art, Smithsonian Institution
Uvorami (Overami) Nabeshi dit Oba Ovonramen (règne 1888-1897). Reproduction photographique d'une illustration publiée par Henry Ling Roth (1854-1925), "Great Benin; its customs, art and Horrors", 1903. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris (inv. PP0072272) © Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Uvorami (Overami) Nabeshi dit Oba Ovonramen (règne 1888-1897). Reproduction photographique d'une illustration publiée par Henry Ling Roth (1854-1925), "Great Benin; its customs, art and Horrors", 1903. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris (inv. PP0072272)
© Musée du quai Branly - Jacques Chirac
L'Oba Akenzua II (règne 1933-1978) en tenue d'apparat de perles de corail. Ville de Bénin, Nigéria. 24 décembre 1964 © Werner Forman Archive/ Bridgeman Images
L'Oba Akenzua II (règne 1933-1978) en tenue d'apparat de perles de corail. Ville de Bénin, Nigéria. 24 décembre 1964
© Werner Forman Archive / Bridgeman Images

La guilde des bronziers

Les artisans sont organisés en guilde7 et installés dans des quartiers dédiés. La guilde des bronziers, l’une des plus importantes du royaume, est nommée Igun Eronmwon et fait partie de l’association du palais Iwebo. La production d’objets en bronze – tout comme le travail de l’ivoire ou du corail – était placée sous le contrôle du roi. Même si l’appellation « plaque de bronze » est employée génériquement, il s’agit d’un alliage cuivreux, en général du laiton8. Ces objets étaient très appréciés pour leur finesse d’exécution et leur résistance. Les fondeurs employaient la méthode de la fonte à la cire perdue9.  

 
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7 Les guildes sont des corporations qui réunissent les membres d’une même profession.
8 Le laiton est un alliage majoritairement composé de cuivre et de zinc, avec parfois de l’étain ou du plomb.
9 Le fondeur commence par réaliser un modèle en cire, enveloppé dans un moule en terre où le métal fondu sera versé pour obtenir la forme désirée. Une fois le métal refroidi, le moule est cassé pour retirer l’objet. On obtient ainsi une pièce unique.

Une triade symbolique

La plaque, en forme d’écu, est ajourée. Les figures sont en très haut relief ce qui témoigne de la virtuosité technique des artisans.
L’oba, placé au centre de la représentation, est soutenu par deux sujets. Ce trio est un motif récurrent de l’art edo, il exprime le contrôle de l’Oba sur son royaume et rappelle que son pouvoir repose sur le soutien de l’ensemble du peuple. Le roi est figuré avec des jambes de silure. Le poisson-chat est l’emblème d’Olokun, dieu de l’eau. C’est un symbole de paix et de prospérité mais aussi de mise en garde car le poisson silure a la capacité de produire de dangereuses décharges électriques. L’identification du souverain à la divinité fait référence à l’Oba Ohen (1334-1370) qui, frappé de paralysie, présentait son infirmité comme une marque divine. Les parures tels que le collier odigba à rangs multiples en perles de corail ou la tunique perlée, sont rendues avec une grande finesse de détails. Le pourtour de la plaque est enrichi de motifs de grenouilles et de têtes d’éléphants tenant dans leur trompe de larges feuilles. Les motifs tressés soulignent les liens entre le monde terrestre et le monde aquatique.

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10 La forme de l’écu est assez rare au sein du corpus des plaques figuratives. On la retrouve toutefois dans les pendentifs, en bronze ou en ivoire.
11 Espèce de poisson vivant en eau douce, aussi appelé poisson-chat.

Historique de l’œuvre et son parcours

À la fin du 19e siècle, les Britanniques dominent la région côtière et soumettent le royaume de Bénin à un traité de libre commerce12, que l’Oba signe en 1892 mais qui ne sera pas appliqué. Une mission britannique est dépêchée à Benin City pour rappeler l’Oba à l’ordre, malgré le souhait de ce dernier de ne pas être dérangé pendant les cérémonies religieuses en cours au royaume. Un groupe de dignitaires du royaume organise, sans l’aval de l’oba, un guet-apens où tombe la délégation britannique conduite par le consul James Phillips. En représailles, les Britanniques envoient des troupes armées de plus de mille hommes. La capitale est mise à sac13 et le palais soumis aux flammes. Environ 900 plaques sont découvertes posées au sol, dans une cour intérieure. À cette époque, les plaques n’étaient plus exposées. Elles servaient probablement d’archives de référence pour l’étiquette – c’est-à-dire le respect des traditions royales (hiérarchie, gestes rituels, tenues cérémonielles). 
Cette plaque pourrait avoir été rapportée de Bénin par Ralph Frederick Locke (1865-1933), un militaire ayant survécu à la première mission britannique et collecté, après la prise de la ville, plusieurs objets – dont des ivoires et des bronzes. Le marchand londonien Sidney Burney14 (1877 ?-1951) en fait l’acquisition, avec d’autres objets de cette collection, lors d’une vente aux enchères en 192815. La plaque est ensuite revendue au galeriste parisien Louis Carré (1897-1977). Plus tard, elle intègre la collection du galeriste Maurice Renou, spécialisé dans les artistes surréalistes, qui se constitue d’autre part, dès les années 1930, une importante collection d’art africain

“Intérieur du complexe royal, calciné par un incendie, bronzes sur le sol. Capt. C.H.P. Carter 42nd, E.P.Hill." Ville de Bénin, Royaume de Bénin, Nigéria, 1897.
Photographie de Reginald Kerr Granville. Pitt Rivers Museum, Oxford (inv. 1998.208.15.11) © Pitt Rivers Museum / Bridgeman Images
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12 Traité commercial qui affirmait la souveraineté britannique sur la région, au détriment du pouvoir de l’Oba.
13 L’expédition punitive occupe la ville le 18 février 1897.
14 Numéro inscrit à l’arrière de la plaque, à la craie jaune 29.1027. Ce marquage provient peut-être du marchand Sidney Burney.
15 Catalogue Steven's, Rare Benin Bronzes and Ivories. The Property of Ralph Locke, Londres, 1928, pp. 8-9.  L’objet est très proche de celui mentionné au lot 136, toutefois, les dimensions diffèrent légèrement. PERALDI A., 2020

Bibliographie sélective et cartographie

Cartes

Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.

Publications

BEN-AMOS Paula, The Art of Benin, Smithsonian Institution Press, Washington D.C., 1995.

BRINCARD Marie-Thérèse (sous la dir.), The Power of Bronze, Royal sculpture from the Kingdom of Benin, Neuberger Museum of Art, New York, 2004.

DARK Philip J.C., An Introduction to Benin Art and Technology, Clarendon Press, Oxford, 1973.

DARK Philip J.C., An Illustrated Catalogue of Benin Art, G. K Hall & Co., Boston, 1982.

DUCHÂTEAU Armand, Benin. Trésor royal. Collection du Museum Fur Volkerkunde, Vienne, Musée Dapper, Paris, 1990.

EISENHOFER Stefan, « Le royaume de Bénin et ses arts de cour » in FALGAYRETTES-LEVEAU (sous la dir.) Arts d’Afrique, Musée Dapper, Paris, 2000.

EZRA Kate, Royal Art of Benin. The Perls Collection in The Metropolitan Museum of Art, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1992.

JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique : une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly-Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.

ONUWAJE Oriiz U. (sous la dir.), The Benin Monarchy : an Anthology of Benin History, Wells-Crimson Limited, 2018.

PLANKENSTEINER Barbara, Bénin. Cinq siècles d’art royal, Éditions Snoeck, Gand, 2007.

ROY Claude, Arts sauvages, Éditions Robert Delpire, Paris, 1957.

VON LUSHAN Felix, Alterthümer von Benin, Georg Reimer, Berlin, 1919.

WYSOCKI GUNSCH Kathryn, The Benin Plaques : a 16th Century Imperial Monument, Taylor and Francis, Routledge, Londres, 2018.