Olifant
Bamoun, Cameroun
L’éléphant et le crocodile sont tous deux des symboles de puissance associés à la figure du fon (roi). La préciosité de l’ivoire et l’iconographie de cet oliphant souligne ce lien entre le fon et ces deux animaux. L’oliphant est utilisé lors de l’avènement d’un nouveau fon, en cas de guerre, ou lors des cérémonies religieuses.
Olifant
- Royaume Bamoun, Foumban
- Nord-ouest du Cameroun
- 19e siècle
- Ivoire
- 132 x 14 x 12 cm, 14680 g
Provenance
- Ancienne collection A. Loewich, Cologne.
- Galerie Alain de Monbrison, Paris.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.17). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
La partie occidentale du Cameroun, appelée Grassland ou Grassfields, est une région de hauts plateaux. L’ensemble est divisé en plusieurs chefferies et royaumes indépendants. Parmi eux, le Royaume Bamoun aurait été fondé par Nchare Yen, entre le 14e et le 17e siècle1. La production artistique du royaume Bamoun est fortement associée au système politique, avec un art de cour extrêmement développé.
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Ivoire et pouvoir
L’éléphant, dont on retrouve le motif sur divers supports, est un des symboles royaux les plus représentés dans l’art de l’Ouest-Cameroun. Au plan symbolique, l’éléphant est une image de puissance royale et de richesse. Le roi-prêtre, appelé fon, devait être doté à la fois de la force et de l’intelligence du pachyderme2. Au plan matériel, un éléphant abattu par des chasseurs devait être apporté au roi à qui l’on offrait les défenses et la queue. L’ivoire était alors travaillé par les artistes du palais pour sculpter des objets de prestige. La préciosité de cet « or blanc » était issue des dangers que représentait la chasse à l’éléphant3. Outre les objets en ivoire, les rois s’entouraient de tout un ensemble de regalia (insignes du pouvoir royal) évoquant leur relation privilégiée à l’animal. Encore aujourd’hui, lors d’occasions rituelles et cérémonielles, le trône du fon est encadré de deux larges défenses d’éléphant fichées en terre, pointes vers le ciel.
L'olifant d'ivoire, attribut personnel des rois, retentissait pour annoncer l'apparition du fon pour ordonner le rassemblement de la population4, notamment en cas de guerre5. Les olifants jouaient aussi un rôle liturgique, pour accompagner en musique les festivités.
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3 VON LINTIG, 2016, p. 38.
4 HARTER, 1986, p. 88.
5 GEARY, 2008, p. 142.
Stylistique
L’olifant a gardé la forme courbée de la défense d’éléphant. Son embouchure latérale, de forme ovale, est soulignée par un léger relief. Le décor, très sobre, se concentre au niveau de l’extrémité de l’instrument. Il se compose de deux crocodiles stylisés collés ventre à ventre. Ils sont représentés conformément à l’iconographie Bamoun : la gueule ouverte sur les dents, l’air belliqueux et les écailles dorsales finement taillées6. Ce reptile occupait une place importante dans les représentations du royaume Bamoun puisqu’il était réservé au roi. La représentation en miroir pourrait faire allusion au python bicéphale7, symbole de la force du souverain capable de combattre sur deux fronts en même temps. Le doublement des motifs est typique du vocabulaire artistique du Grassland8. S’inscrivant dans la tradition polymorphe des arts du Grassland, les têtes des crocodiles peuvent aussi s’apparenter à des visages humains selon l’angle de vue adopté.
6 GEARY, 1984, p. 101.
7 VON LINTIG, 2016, p. 38.
8 GEARY, 1984, p. 99.
Historique de l’œuvre et son parcours
Cet olifant fut acquis par A. Loewich, antiquaire et marchand de tableaux à Cologne entre 1940 et 1945. Il l’avait lui-même obtenu auprès d’un officier allemand l’ayant reçu en cadeau au Cameroun entre 1914 et 19189.
L’œuvre a ensuite appartenu à la galerie Alain de Monbrison. Installée au cœur du quartier de Saint-Germain-des-Prés, sa galerie est spécialisée en art africain et océanien. Alain de Monbrison a participé en tant qu’expert à plusieurs ventes de grandes collections privées, notamment la vente Pierre Harter en juin 1995 à l’Hôtel Drouot.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
GEARY Christraud, Bamum and Tikar : Inspiration and Innovation in Cameroon Art and Kings, Rietberg Museum, Zurich, 2008
GEARY Christraud, Les choses du palais, Franz Steiner Verlag, GMBH, Wiesbaden, 1984.
GEARY Christraud, Elephants, Ivory and Chiefs : The Elephant and the arts of the Cameroon Grassfields in Elephant. The animal and its ivory in african culture, Doran H. Ross (Dir.), Fowler Museum of Cultural History, University of California, Los Angeles, 1992.
GEARY Christraud, Bamum, 5 Continent Editions, Milan, 2011.
HARTER Pierre, Arts Anciens du Cameroun, Arts d’Afrique noire, Arnouville, 1986.
HOMBERGER Lorenz, GEARY Christraud, KOLOSS Hans-Joachim, Cameroon Art and Kings, Rietberg Museum, Zurich, 2008.
JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique : une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly-Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.
LOUMPET-GALITZINE Alexandra, Njoya et le Royaume Bamoun : les archives de la Société des missions évangéliques de Paris, 1917-1937, Karthala, Paris, 2006.
PERROIS Louis, NOTUE Jean-Paul, Rois et sculpteurs de l’ouest Cameroun. La panthère et la mygale, Karthala, Orstom , 1997, Paris.
PERROIS Louis (et al.), Les rois sculpteurs : art et pouvoir dans le Grassland camerounais. Legs Pierre Harter, Musée national des arts africains et océaniens, Réunion des musées nationaux, Paris, 1993.
TARDITS Claude, L’histoire singulière de l’art bamoun, Afredit/ Maisonneuve & Larose, 2004.