Maternité
Dogon, Mali
Cette maternité dege représente une figure féminine portant un enfant dans son dos, les seins évoquant la poitrine d’une femme ayant déjà allaité. Propriétés des associations féminines, ces maternités utilisées pour l’initiation des jeunes filles avaient également pour rôle de garantir la fertilité et de protéger les femmes durant la grossesse et l’accouchement.
Maternité
- Dogon, style Bombou-Toro, Mali
- 1750-17801
- Bois, fer
- 42 x 6,5 x 7 cm
Provenance
- Ancienne collection Pierre Langlois, Paris.
- Galerie Ratton-Hourdé, juin 2005, Paris.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.1). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.
______
Contexte d’origine de l’œuvre
Le pays dogon se situe à l’intérieur de la boucle du fleuve Niger, à la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. Cette région de hauts plateaux rocheux est caractérisée par un climat sec voire aride.
L’étude des dogon
Mentionnés dès le 16e siècle par des chroniqueurs arabes et cités dans divers rapports de l’administration coloniale, la première étude ethnographique portant sur le peuple dogon est signée par le Lieutenant Desplagnes2. Entre 1931 et 1933, la mission Dakar-Djibouti, menée par Marcel Griaule et ses collaborateurs, marque le véritable point de départ de l’engouement occidental pour la culture dogon3.
______
Les figures de maternité
Le thème de la maternité est très présent dans l’art du pays dogon. Allégorie de la fertilité et de la fécondité, l’image de la mère nourricière vient apaiser les angoisses liées à la stérilité et à la perpétuation du lignage. La figure féminine se tient debout jambes fléchies, les mains ramenées sur le ventre. Les seins, longs et plats, évoquent la poitrine d’une femme ayant déjà allaité. Le personnage porte un enfant dans le dos. Ce dernier est également représenté debout, les bras tendus le long du corps, et les mains posées sur l’abdomen.
Propriété des sociétés des femmes, ces statues étaient utilisées pour l’initiation des jeunes filles, lorsqu’elles apprenaient à filer le coton. Le labret porté par le personnage symbolise le tissage, produit par les hommes. La coutume considère qu’il protège de la « mauvaise parole »4. Ces maternités ont également un rôle prophylactique5, pour garantir la fertilité et se prémunir des risques durant la grossesse ou l’accouchement6. L’application régulière de corps gras comme le beurre de karité confère à la statue une patine légèrement brillante7. Exposée sur la terrasse de la maison du mort, cette sculpture de terrasse (dege dal nda), était aussi associée aux rites funéraires, notamment pour les femmes mortes en couches8.
Cette statue peut être rapprochée du style Bombou-Toro, défini par Hélène Leloup9. La région de Bombou est située au centre-sud de la falaise de Bandiagara, au Mali. Ce style se caractérise par un visage inscrit dans un double triangle et marqué par un nez en forme de flèche. La tête est surmontée d’un plateau-autel, destiné à recevoir les libations. Les seins sont placés très haut sur le torse et se prolongent par un bourrelet sur les épaules et dans le dos. L’ombilic est encadré par de fines scarifications.
______
9 Ibidem, pp. 165-170.
Historique de l’œuvre et son parcours
Cette maternité a appartenu au marchand et collectionneur Pierre Langlois (1927-2015). D’abord légionnaire en Indochine, Pierre Langlois, de retour en France, devient courtier en livres anciens et fréquente le milieu artistique de la région lilloise. Il se découvre un intérêt pour l’Afrique et part pour le Mali (à l’époque le Soudan français) à plusieurs reprises entre 1950 et 1954. Sur place, il acquiert de nombreux objets dogon. Ses notes et ses photographies constituent un matériel précieux de documentation des objets pour l’exposition organisée « Arts soudanais, tribus dogons » à la librairie-galerie de Marcel Evrard à Lille, en 1954. Bien que cette statuette ne figure pas dans ce catalogue d’exposition10, il est probable que Pierre Langlois l’ait également acquise au début des années 1950. Dans les années 1960, il ouvre une galerie à Paris11. Il poursuit ses voyages, au Gabon, au Pérou, en Nouvelle-Guinée, à Madagascar… et collabore avec de nombreux marchands de l’époque tels que Michel Huguenin, Édouard Klejman ou Henri et Hélène Kamer12.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
BAUDOIN, Gérard, Les Dogon du Mali, Armand Colin, Paris, 1984.
BEDAUX Rogier et VAN DER WAALS J.D. (sous la dir.), Regards sur les Dogon du Mali, Rijksmuseum voor Volkenkunde, Leyde, Éditions Snoek, Gand, 2003.
CALAME-GRIAULE Geneviève, Ethnologie et Langage la parole chez les Dogon, Gallimard, Paris, 1965.
DIETERLEN Germaine et GRIAULE Marcel, Le renard pâle, Institut d’ethnologie, Paris, 1965.
EZRA Kate, Art of the Dogon. Selections from the Lester Wunderman Collection, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1988.
EZRA Kate, “The Art of the Dogon”, African Arts, Vol. 21, n° 4, 1988.
FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane (sous la dir.), Dogon, Éditions Dapper, Paris, 1994.
FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane (sous la dir.), Chefs-d’œuvre d’Afrique dans les collections du musée Dapper, Éditions Dapper, Paris, 2015.
Galerie RATTON-HOURDÉ, Dogon, Éditions Ciel bleu mer calme, Paris, 2005.
GRIAULE Marcel, Dieu d’eau, entretiens avec Ogotemmêli, Éditions du Chêne, Paris, 1948.
HOMBERGER Lorenz, EZRA Kate, GALLAY Alain et al., Die Kunst der Dogon, Museum Rietberg, Zürich, 1995.
JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly - Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.
LANGLOIS Pierre, Art soudanais. Tribus dogons. Éditions de la connaissance, Bruxelles et Lille, 1954.
LAUDE Jean, « La statuaire du pays Dogon », Revue d’Esthétique, t. XVII, fasc.1 et 2, Janvier-juillet 1964.
LEHUARD Raoul, L’empreinte Noire, L’Harmattan, Paris, 2007.
LELOUP Hélène (sous la dir.), Statuaire Dogon, Éditions AMEZ, Paris, 1994.
LELOUP Hélène (sous la dir.), Dogon, Musée du quai Branly - Jacques Chirac/SOMOGY, Paris, 2011.
NDIAYE Francine, L’Art du pays dogon dans les collections du musée de l’Homme, Museum Rietberg, Zurich, 1995.
SCHMIDT Johann-Karl (sous la dir.), Chefs-d’œuvre de la statuaire dogon, Galerie der Stadt Stuttgart, 1998.