Épingle à cheveux
Mangbetu, République Démocratique du Congo

En bois, en os ou en métal, les épingles mangbetu sont plus rarement réalisées en ivoire. Cette épingle effilée terminée par un disque plat se distingue par sa préciosité. La forme de sa tête évoque le disque solaire. Elle était piquée dans l’éventail des coiffures des femmes mangbetu dont le front et la tête artificiellement allongés ont fasciné l’Occident dès la fin du 19e siècle.

 

 Épingle à cheveux

  • Population Mangbetu, République Démocratique du Congo
  • 19e siècle
  • Ivoire
  • H. 25 cm

Provenance

  • Galerie Alain de Monbrison, Paris.
  • Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
  • Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2017.66.8). Donation Marc Ladreit de Lacharrière.

Contexte d’origine de l’œuvre

Carte de la région stylistique de l’Uele, République démocratique du Congo © Thierry Renard
Carte de la région stylistique de l’Uele, République démocratique du Congo © Thierry Renard
Carte de la région stylistique de l’Uele, République démocratique du Congo © Thierry Renard
Carte de la région stylistique de l’Uele, République démocratique du Congo © Thierry Renard

La population Mangbetu comprend plusieurs sous-groupes, très proches sur les plans linguistique (langues soudaniques centrales) et culturel tels les Meje, les Malele, les Mangbele et les Makere. Ils s’installent dans le nord-est de la République démocratique du Congo vers le milieu du 18e siècle. Située au sud de la rivière Uele, la région est partagée entre de larges zones forestières et des étendues de savane. Les Mangbetu étaient organisés selon un système fortement hiérarchisé avec une autorité centrale royale et des chefs pour gouverner les différentes provinces. Le botaniste Georg Schweinfurth, qui effectue un voyage entre 1868 et 1871, relate notamment son passage à la cour du roi Mbunza1, à Nangazizi. Le scientifique est fasciné par le raffinement des arts Mangbetu et en fait l’éloge dans son ouvrage Im Herzen von Afrika, publié en 1874.

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Le roi Mbunza régna entre 1815 et 1873. Son règne marque une centralisation du pouvoir au sein du territoire mangbetu. Voir SCHWEINFURTH G., 1874, chapitre 22.

L’art de l’ornementation

Chez les Mangbetu et leurs voisins Zande, une grande attention était portée aux soins du corps. L’ornementation corporelle était intimement liée aux notions de bien-être et de santé2. Outre les scarifications et peintures corporelles, les Mangbetu pratiquaient l’allongement du crâne3, dite Lipombo. Cette déformation, opérée dès l’enfance, était une marque de beauté. Le crâne du nourrisson était longuement massé avec de l’huile puis ceint d’un ensemble de fibres de raphia tressées4
À l’âge adulte, l’élongation obtenue était mise en valeur par une grande diversité de coiffures ou de parures de tête, agrémentées d’épingles. Celles-ci étaient fabriquées en bois, en os, en métal, et plus rarement en ivoire. Les épingles en ivoire constituaient un bien précieux, symbole d’un statut social élevé. Taillée dans la pointe d’une défense d’éléphant, l’épingle était une véritable démonstration technique, exigeant une grande habileté et générant beaucoup de pertes de matière première5. Les hommes se servaient de ces épingles pour maintenir leur coiffe en raphia, tandis que les femmes les inséraient directement dans leur coiffure. Le zoologiste Herbert Lang, qui voyage dans la région entre 1909 et 19156, notait qu’elles servaient entre autres à nettoyer de petites plaies, à se curer les ongles et qu’on les utilisait comme une sorte de petit peigne pour parfaire une coiffure. Elles pouvaient aussi être offertes en présent7.
La tige de ce cette épingle s’épanouit en un disque plat, censé rappeler les rayons du soleil8. On retrouve cette forme de cône s’élargissant en éventail dans les coiffures, patiemment élaborées sur des bâtis en vannerie, mais aussi dans le reste de la production artistique : poteries, pipes, harpes, statuettes.

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2 SCHILDKROUT E., 1990, p.123.
3 On parle de dolichocéphalie.
4 Ce bandage, régulièrement changé, pouvait être répété sur une période de plusieurs années pour atteindre l’allongement souhaité.
LANG H.,1918, p. 540.
6 Le zoologiste allemand Herbert Lang avait été choisi pour diriger l’expédition du Congo, financée par l’American Museum of Natural History de New York.
 Selon Jan Czekanowski, anthropologue polonais et membre d’une grande expédition allemande en Afrique centrale entre 1907 et 1908, offrir une épingle en ivoire à une femme était une invitation à avoir des rapports intimes. CZEKANOWSKI J., 1924, p.138.
8 LANG H.,1918, p. 540.

Récits de voyage et fascination européenne

Dès la fin du 19e siècle, les récits de voyageurs, souvent accompagnés de dessins puis de photographies, obtiennent un grand succès auprès du public européen et génèrent une sorte de « Mangbetu mania». Peintures, timbres postaux, monnaie coloniale prennent pour effigie la silhouette emblématique des femmes mangbetu. Ainsi, à l’occasion de l’expédition de la Croisière noire, le sculpteur François Bazin réalise le bouchon de radiateur automobile « La femme mangbetu ». Cette mission française, financée par la marque Citroën, traversa le continent africain du Nord au Sud entre 1924 et 1925.

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9 SCHILDKROUT, 2014, p.56.

Historique de l’œuvre et son parcours

Cette épingle à cheveux, achetée auprès d’un antiquaire belge par le galeriste Alain de Monbrison, a ensuite été acquise par le collectionneur Marc Ladreit de Lacharrière.

Bibliographie sélective et cartographie

Cartes

Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.

Publications

BASSANI Ezio, LOOS Pierre, Zagourski. L’Afrique disparue. Dans la collection de Pierre Loos, Skira/Seuil, Milan/Paris, 2001.

BURSSENS Herman et GUISSON Alain, Mangbetu. Art de cour Africain de collections privées belges, Kredietbank, Piet Jaspaert, Bruxelles, 1992.

CZEKANOWSKI Jan, Forschungun im Nil-Kongo Zwischengebiet, vol.6, part 2, Ethnographie Uele, Ituri, Nilländer, Klinkhardt und Biermann, Leipzig, 1924, p.138.

DE PALMENAER Els, « Mangbetu Hairstyles and the Art of Seduction: Lipombo”, In Hair in African Art and Culture (dir. SIEBER Roy, HERREMAN Frank), The Museum for African Art, New York, Prestel Verlag, Munich, 2000.

FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane, Corps sublimes, Musée Dapper, Éditions Dapper, Paris, 1994.

FALGAYRETTES-LEVEAU Christiane, Signes du corps, Musée Dapper, Éditions Dapper, Paris, 2004.

GEARY Christraud M., « Nineteenth-century images of the Mangbetu in explorers’ accounts”, In The Scramble for Art in Central Africa (dir. SCHILDKROUT Enid et KEIM Curtis A.), University Press, Cambridge, 1998.

HAARDT De La BAUME Caroline, Alexandre Iacovleff, l’artiste voyageur, Flammarion, Paris, 2000.

JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique : une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly-Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.

LANG Herbert, « Famous Ivory Treasures of a Negro King », in The American Museum Journal, Vol. 18, n° 7, 1918, pp. 527-552.

ROSS Doran H., Elephant. The Animal ad its Ivory in African Culture, Fowler Museum of Cultural History, University of California, Los Angeles, 1992.

SCHILDKROUT Enid, KEIM Curtis A., African Reflections. Art from Northeastern Zaire, University of Washington Press, Seattle/ Londres, American Museum of Natural History, New York, 1990.

SCHILDKROUT Enid, “Ivories in the Uele Region”, In White Gold, Black Hands. Ivory Sculpture in Congo, Vol. 7 (dir. FELIX Marc L.), Tribal Arts SPRL, Bruxelles, 2014.

SCHWEINFURTH Georg, Au Cœur de l’Afrique, 1868-1871 : Trois ans de voyages et d’aventures dans les régions inexplorées de l’Afrique centrale, traduction française [version originale, Im Herzen von Afrika, 1874], Éditions Decoopman, Saint-Laurent-le-Minier, 2012.