Coupe divinatoire agere Ifa
Royaume d’Owo, Yoruba, Nigéria
Les coupes agere Ifa sont utilisées lors des rituels de la divination d’Ifa par le devin, babalawo. Cette coupe s’illustre par sa qualité et la préciosité de son matériau. Elle a été réalisée au 17e siècle au royaume d’Owo, renommé pour sa production riche et variée d’ivoires.
Coupe divinatoire agere Ifa
- Population Yoruba, Royaume d’Owo, Nigéria
- Première moitié du 17e siècle (?)
- Ivoire
- H. 18,5 cm ; diam. 10,5 cm
Provenance
- Christie’s, Tribal Art, South Kensington, 29 juin 1987, lot 67.
- Ancienne collection Hélène et Philippe Leloup, Paris-New York.
- Sotheby’s, A New York Collection, Paris, 30 novembre 2010, lot 28.
- Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris.
- Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris (70.2019.37.1). Dation Marc Ladreit de Lacharrière.
Contexte d’origine de l’œuvre
Royaume prospère à la culture artistique florissante, Owo (cité-État) se situe à la frontière orientale du pays Yoruba, à mi-chemin entre la ville de Bénin et Ile-Ifé1, au Nigéria. D’après la tradition orale, le royaume d’Owo se réclamait d’une descendance divine des rois d’Ifé.
Entre le 15e siècle et le 19e siècle, le royaume d’Owo a connu plusieurs périodes de sujétion au royaume de Bénin, notamment suite à des missions d’expansion territoriale. Malgré tout, Owo a su s’imposer comme une cité-État puissante, et constituait un véritable carrefour commercial et culturel entre le pays Yoruba et le royaume de Bénin. De nombreuses influences, notamment institutionnelles et stylistiques, marquaient les relations entre Owo et la ville de Bénin.
Un centre majeur pour l’ivoire
Cernée par une zone forestière dense, la région d’Owo était particulièrement réputée pour ses éléphants, symboles de royauté incarnant la force et la territorialité. De nombreux artisans owo, reconnus pour la qualité de leur art, ont travaillé au sein de la guilde des sculpteurs d’ivoire Igbesamwan du royaume de Bénin. Les artisans sculpteurs sur ivoire d’Owo ont concurrencé ceux de Bénin, développant un style propre. Certaines productions, principalement produites pour un usage local, ont cependant pu rejoindre l’Occident par les voies commerciales2.
La pratique de la divination3
Outre les objets d’apparat pour l’Olowo (le roi) et les hauts dignitaires, l’ivoire était également utilisé pour la confection du matériel des devins de haut rang.
Appelé ifa, le système divinatoire yoruba est placé sous la protection de l’orisha Ifa-Orunmila, son créateur mythique. Ifa offre la possibilité aux hommes de distinguer les forces actives à l’œuvre dans leur quotidien et d’influencer le cours des choses grâce aux prières et aux sacrifices. Le babalawo (devin), est sollicité pour toute décision individuelle ou collective importante.
Le plateau de divination opon Ifa est l’élément central du matériel du babalawo. Il est accompagné d’une coupe agere Ifa contenant les seize noix de palme ikin, d’un petit percuteur iroke-Ifa pour invoquer Ifa-Orunmila et d’une tête en ivoire irin Ifa. La surface du plateau est recouverte d’une fine couche de poudre de bois ou de kaolin sur laquelle le devin, qui manipule les noix en les faisant passer d’une main à l’autre, va progressivement tracer des figures correspondant aux configurations obtenues lorsqu’une noix tombe sur le sol. Ces dernières déterminent l’extrait de littérature yoruba odu4 auquel le devin se réfère pour guider sa clientèle dans la résolution de ses problèmes.
La coupe agere-Ifa pouvait être commandée soit directement par le devin soit par un client souhaitant faire un cadeau au prêtre d’Ifa pour le remercier. La qualité de l’ouvrage et la préciosité de l’ivoire suggèrent qu’il s’agissait d’un devin de haut rang, probablement au service de l’Olowo.
Iconographie de l’agere Ifa
La coupe est portée par cinq personnages cariatides5. Le personnage central représente l’Olowo. Il porte une coiffe perlée avec deux éléments retombant de chaque côté de son visage. Cette coiffure en forme de cornes de bélier rappelle la vigilance et la force de cet animal, métaphore royale majeure à Owo. L’Olowo est entouré par deux intendants, un motif de triade fréquent dans l’art de la région. Le quatrième personnage, reconnaissable à son haut chapeau, porte une épée à lame foliacée dans la main droite. Les personnages sont liés par un geste de soutien des avant-bras qui traduit l’idée de soutien des différents cultes auprès de l’Olowo. La dernière figure, probablement un prêtre du dieu du tonnerre Shango, tient une hache, emblème de la divinité, et un bâton de fer opa orere ou opa osun, planté dans le sol pendant les cérémonies de divination. Les cinq personnages sont vêtus d’un pagne, noué à la taille.
La forme des yeux, dont les pupilles étaient autrefois incrustées de métal, le caractère épaté du nez ainsi que les coiffures coniques sont distinctifs du style d’Owo. Le réceptacle, en forme de demi-calebasse dont il manque le couvercle, évoque au complet l’image sphérique du cosmos. Il est rehaussé de motifs géométriques en triangles inversés et hachurés. L’intensité de la patine6 témoigne de l’ancienneté de l’objet et de son utilisation en contexte rituel.
5 Nom traditionnellement donné aux figures féminines employées en architecture classique au lieu de colonnes ou de pilastres. Par extension, désigne une figure soutenant sur sa tête un entablement.
6 Les reflets rouges sont dus aux onctions répétées d’huile de palme, pour entretenir l’objet.Historique de l’œuvre et son parcours
De nombreux objets yoruba furent collectés à la fin du 19e siècle, lorsque la région tomba sous domination britannique. Pendant longtemps, les productions artistiques owo – comme de manière générale toutes les productions de la région côtière du Nigéria – furent attribuées aux artistes edo7 de Bénin. C’est seulement en 1951 que le spécialiste William Fagg8 revient sur cette attribution et reconnaît les spécificités de l’art d’Owo.
Vendue en 1987 par la maison de vente londonienne Christie’s, la coupe a été acquise par le couple de collectionneurs et marchands Hélène et Philippe Leloup. Elle est de nouveau mise en vente aux enchères en 2010, chez Sotheby’s, avant d’intégrer la collection de Marc Ladreit de Lacharrière.
Bibliographie sélective et cartographie
Cartes
Thierry Renard (2022), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.
Publications
ABIMBOLA Wande, “The Literature of the Ifa Cult”, in Sources of Yoruba History, S. O. Biobaku (sous la dir.), Oxford University Press, Ibadan, 1973, pp. 41-62.
ABIMBOLA Wande, Ifa: an exposition of Ifa literary corpus, Oxford University Press, Ibadan, 1976.
ABIODUN Rowland, DREWAL Henry John, PEMBERTON III John, Yoruba. Art and Aesthetics, The Center for African Art and The Rietberg Museum, Zurich, 1991.
ABIODUN Rowland, DREWAL Henry John, PEMBERTON III John, The Yoruba Artist. New Theoretical Perspectives on African Arts, Smithsonian Institution Press, Washington, 1994.
BASCOM William R., Ifa Divination: communication between gods and men in West Africa, Indiana University Press, Bloomington, 1969.
BASCOM William. R., Sixteen Cowries: Yoruba divination from Africa to the New World, Indiana University Press, Bloomington, 1980.
BASSANI Ezio, FAGG William B., Africa and the Renaissance. Art in Ivory, The Center for African Art and Prestel-Verlag, New York, 1988.
BASSANI Ezio (sous la dir.), Arts of Africa. 7000 ans d’art africain, Skira/ Grimaldi Forum, Monaco, 2006.
BASSANI Ezio (sous la dir.), Ivoires d’Afrique dans les anciennes collections françaises, Musée du quai Branly/Actes Sud, Paris/Arles, 2008.
Catalogue Christie’s South Kensington, Tribal Art, Vente du mardi 29 juin 1987, lot 67.
DREWAL Henry John, PEMBERTON III John et ABIODUN Rowland, Yoruba : Nine Centuries of African Art and Thoughts, The Center for African Art, Harry N. Abrams Inc, New York, 1989.
DREWAL Henry John, SCHILDKROUT Enid, Dynasty and Divinity. Ife Art in Ancient Nigeria, Museum for African Art, New York, University of Washington Press, Seattle, 2009.
EZRA Kate, Royal Art of Benin. The Perls Collection in The Metropolitan Museum of Art, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1992.
FAGG William, « De l’art des Yoruba », Présence Africaine, vol. 10-11, n° 1-2, 1951.
JOUBERT Hélène (sous la dir.), Éclectique : une collection du XXIe siècle, Musée du quai Branly-Jacques Chirac/Flammarion, Paris, 2016.