Gardien de reliquaire eyema-byeri
Gabon, Fang

Hiératique, cette statue d'ancêtre masculin, en position assise, les bras ramenés sur le torse tenant une coupe, protégeait un panier reliquaire contenant les ossements de la lignée ou du clan. Régulièrement consultées, ces effigies étaient recouvertes d'onctions. Elles produisaient une patine suintante donnant l'impression d'une peau vivante.

 

Gardien de reliquaire eyema-byeri

  • Population Fang, sous-groupe Betsi
  • République gabonaise
  • 19e siècle
  • Bois, patine noire brillante
  • H : 42,5 cm ; l : 21 cm ; P : 11 cm
  • Socle de Kichizô Inagaki (1876-1951), Paris

 

Provenance

  • Ancienne collection Georges de Miré (1890-1965), Paris
  • Ancienne collection Nico Mazaraki, Paris
  • Ancienne collection Albert Kleinmann, Paris
  • Bernard De Grunne, Bruxelles
  • Ancienne collection Adam Lindemann, New York
  • Sotheby’s, Paris, 11 décembre 2013, lot n° 23
  • Ancienne collection Marc Ladreit de Lacharrière, Paris
  • Musée du quai Branly - Jacques Chirac (70.2017.66.24), Donation Marc Ladreit de Lacharrière.

Contexte d’origine de l’œuvre

 

Le Byeri et les gardiens de reliquaire des Fang

Représentatif de la puissante création sculpturale fang, cette statue masculine se rattache au célèbre corpus des gardiens de reliquaire, ces statues d’ancêtres connues sous le nom d’eyema-byeri. Utilisées dans le cadre de cultes ancestraux, elles surmontaient les boîtes cylindriques en écorce qui contenaient les reliques des plus illustres ancêtres du lignage. Ces sculptures anthropomorphes en pied (eyema-byeri « l’image du byeri »), parfois des bustes ou des têtes seules (nlo byeri « tête du byeri ») gardaient les précieuses reliques lignagères afin de les protéger de tout sacrilège. Ces ensembles de reliques (ekokwe nlo) étaient constitués de différents prélèvements d’ossements effectués sur les plus prestigieux défunts du clan (essentiellement crânes entiers ou calottes crâniennes, fémurs, phalanges, vertèbres, dents) auxquels étaient parfois mêlés des bijoux, des plantes et autres éléments considérés comme magiques. Les crânes constituaient les éléments les plus importants de ces ensembles de reliques et participaient au prestige social du clan : plus le nombre de crânes était important, plus l’ancienneté de la lignée familiale était garantie et, de ce fait, la renommée et la richesse du groupe. Réceptacles aisément transportables lors des migrations, garantes de la légitimité du lignage ainsi que des alliances matrimoniales futures, les boîtes-reliquaires (nsekh byeri) étaient conservées à l’abri des regards, dans un endroit protégé de la case du chef de famille (esa).

Le byeri, terme générique désignant à la fois le culte des ancêtres, les rituels et les objets cultuels qui lui étaient liés, constituait le cœur de la vie sociale et spirituelle des Fang. Alors que la divinité créatrice Mebere ou le héros primordial Nzamé ne faisaient pas l’objet de rituels et d’offrandes, les Fang considéraient que la prospérité, la fécondité et la richesse de l’ensemble de la communauté dépendaient essentiellement des ancêtres du clan ou du lignage. Dispensateurs de tous les bienfaits, les ancêtres pouvaient aussi constituer des éléments perturbateurs dangereux s'ils n’étaient pas régulièrement honorés rituellement. La consultation des ancêtres intervenait pour toute prise de décision importante : alliances politiques, mariages, guerres, déplacements du village, installations de nouvelles plantations, pratique de la chasse et de la pêche, etc. 

Rituel de présentation des crânes aux initiés. © D.R

Rituel de présentation des crânes aux initiés. © D.R

Pour activer le lien avec les ancêtres et s'attirer leur bienveillance, les reliques, sorties de leur panier, étaient alors manipulées par les hommes et devaient être « nourries » régulièrement de sang, de sciure de bois de padouk ou de résine de copal, de poudre ba (poudre rouge, couleur du sacré, constituée d’un mélange de bois de padouk et d’huile), d’offrandes de nourriture ou de boissons diverses et de nombreuses onctions d'huile de palme. Vecteurs de médiation entre le monde des vivants et celui des morts, les gardiens de reliquaire fang apparaissent ainsi comme des incarnations symboliques de la puissance des ancêtres. À l’instar des ossements sacrés, les effigies sculptées, ornées initialement de plumes et de parures, faisaient également l’objet de multiples libations rituelles afin de renouveler leur efficience.

Ces onctions répétées, mêlées à des éléments « magiques », ont inscrit dans le bois cette patine si particulière, profonde, brillante, parfois suintante à la manière d’une icône miraculeuse. La patine, à savoir la coloration et la texture particulières que prend un matériau avec le temps suite aux manipulations et aux dépôts successifs, témoigne de l’ancienneté d’une œuvre et de son usage rituel. Les patines suintantes des byeri fang sont particulièrement impressionnantes à cause du phénomène de sudation du bois qui anime l’objet d’une vie supplémentaire et génère une impression de vigilance accrue émanant des gardiens des reliques. Ces « larmes » attestent d’une imprégnation très ancienne du bois exprimant toute la charge émotionnelle et spirituelle dont ces « images du byeri » sont empreintes. Des analyses de la composition des patines de cinq byeri fang du musée du quai Branly - Jacques Chirac ont permis d’apporter un éclairage intéressant sur ce phénomène en différenciant trois « états » du bois et deux phases de pénétration des patines liées à leur usage. « Le premier [état] correspond à l’état du bois brut (couleur marron), le second témoigne de la pénétration à coeur d’un liquide, sans doute à la suite d’une immersion (couleur verte) et enfin un dernier état correspond aux dépôts successifs liés aux rituels (couleur bleue). Cette analyse corrobore les descriptions des ethnologues, qui distinguent deux grandes phases d’utilisation des patines. La première est liée à la pratique de l’immersion, phénomène d’autant plus facile que les bois couramment utilisés (du genre Alstonia) ont une densité faible et sont de véritables éponges. […] Cette immersion a permis au liquide d’atteindre le coeur du bois par le biais des fentes médullaires et des pores. La seconde phase, caractérisée par la zone du bois présentant une densité nettement plus élevée, s’explique par l’accumulation des matériaux déposés tout au long de son utilisation. Le bois, saturé par cette accumulation de produits, ne peut plus absorber de dépôts, qui, ce faisant, restent en surface et provoquent cette impression de sudation. »1 Il est à noter ici que la restitution de la substance huileuse par le bois s’opère sous l’effet de la température.

Les effigies du byeri, dont certaines étaient dotées de membres articulés, pouvaient également être utilisées, en fonction des régions, dans le cadre des rituels du melan, l’initiation des jeunes hommes au cours de laquelle ils recevaient l’enseignement des ancêtres. Dans ce contexte, la communication entre les ancêtres et les vivants pouvait être favorisée par la consommation d’une plante hallucinogène nommée alan, laquelle générait des effets de catalepsie hallucinatoire. Les gardiens de reliquaire se muaient alors en supports pédagogiques, sortes de marionnettes animées dans le cadre de représentations orchestrées par les initiés, et incarnaient des modèles d’ancêtres illustres (homme ou femme) auxquels les initiés devaient s’identifier pour en acquérir les qualités exemplaires. Désolidarisées de leur boîte et portées par leur tenon de fixation, elles servaient à transmettre aux jeunes hommes leur histoire et leur généalogie.

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Sophie Jacqueline, Christophe Moulherat, Sylvain Ordureau, Hélène Joubert, Yves Le Fur, Philippe Charlier « Anthropomorphy of sweat in reliquary gaurdians ( Fang,Gabon) : a CT-scan study », in « Forensic imaging », 2020.
Ingestion de l’alan lors du rituel de purification du melan chez les Fang Ntumu, 1968.	© Louis Perrois / © D.R.

Ingestion de l’alan lors du rituel de purification du melan chez les Fang Ntumu, 1968. © Louis Perrois / © D.R

Les Fang : une histoire marquée par les migrations

Anciennement appelés « Pahouins » par les Français, « Pangwe » par les Allemands ou « Pámue » par les Espagnols durant la période coloniale, les Fang - du nom d’un des premiers groupes entrés en contact avec les Européens au 19e siècle - occupent une vaste zone d’Afrique équatoriale atlantique, entre le sud du Cameroun, la Guinée équatoriale, le nord du Gabon et la République du Congo. Si leur origine reste incertaine, leur histoire mais aussi leurs structures sociales et religieuses furent marquées par une série de migrations qui conditionnèrent un des éléments les plus essentiels de la culture fang : conserver la mémoire de la généalogie du lignage et du clan par l’intermédiaire du culte du byeri. Ces migrations à travers « la grande forêt », dont l’importance est centrale dans le mode de vie des populations qui s’y établirent, sont relatées de manière relativement analogue dans les traditions orales des différents groupes fang. Malgré leur dispersion géographique, les Fang partagent tous un fonds commun linguistique (langues bantoues), socio-culturel (patrilinéarité, résidence patrilocale, exogamie, structure en clans, sous-clans, familles lignagères et familles étendues) et cultuel (culte des ancêtres). Les groupes Fang Mabéa et Ngumba, venant du centre du Cameroun, dans la région du haut plateau central, au nord du bassin de la Sanaga, s’établirent au sud du Cameroun. De cette zone, de nouvelles vagues de migrations virent cinq autres groupes fang s’implanter en Guinée équatoriale et au Gabon à partir du 17e siècle : les Nzaman, les Betsi, les Ntumu, les Mvaï et les Okak. Le groupe Betsi, rattaché aux Fang du Sud, et que l’on retrouve aussi sous le nom de Mekè, occupe une zone comprise entre la rive droite de l’Ogooué, au nord de Lambaréné, et l’Ivindo. Venu du sud, il a atteint cette région au 19e siècle et partage un certain nombre de traits communs, notamment sur le plan sculptural, avec ses voisins Okak.

« Carte des migrations des groupes fang depuis le 17e siècle d’après les traditions orales » D’après Louis Perrois, carte publiée in LE FUR Yves (Dir.), Forêts natales, Arts d’Afrique équatoriale atlantique, Paris, musée du quai Branly -Jacques Chirac ; Actes Sud, 2017. © Thierry Renard
« Carte des migrations des groupes fang depuis le 17e siècle d’après les traditions orales » D’après Louis Perrois, carte publiée in LE FUR Yves (Dir.), Forêts natales, Arts d’Afrique équatoriale atlantique, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac ; Actes Sud, 2017.

Archétypes stylistiques et ateliers

Selon les caractéristiques formelles et les décors, de nombreuses études ont tenté de déterminer des styles de référence plus ou moins normés et répartis géographiquement en fonction des groupes de population auxquels ils se rattachent. Les productions plastiques des Fang Betsi sont considérées comme représentatives d’un style classique de la statuaire fang. Notons qu’à ces archétypes stylistiques s’ajoutent des « expressions de transition » témoignant d’une réalité plus subtile, plus complexe et plus mouvante, évoquant des zones de contacts et d’influences entre les différents groupes.

Carte de répartition des styles et des variantes kota. D’après Louis Perrois, carte publiée in Le Fur Yves (Dir.), Forêts natales, Arts d’Afrique équatoriale atlantique, Paris, Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Actes Sud, 2017. © Thierry Renard
Carte de répartition des styles et des variantes kota. D’après Louis Perrois, carte publiée in Le Fur Yves (Dir.), Forêts natales, Arts d’Afrique équatoriale atlantique, Paris, Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Actes Sud, 2017. © Thierry Renard

Contrairement aux structures « longiformes » et élancées des productions de leur voisins Ntumu, les statues d’ancêtres des Betsi sont généralement dotées de membres plutôt « bréviformes », ainsi que de volumes puissants et d'un modelé tout en rondeur. D'épaules souvent robustes émerge une tête assez volumineuse - signe de puissance - marquée par un front bombé et une bouche se confondant avec le menton. Le nez et les yeux en « grain de café » s’inscrivent subtilement dans une structure en forme de cœur caractéristique de nombreuses productions plastiques des Fang, et que l’on retrouve chez d’autres groupes de populations d’Afrique équatoriale. Cette structure cordiforme, s’incurvant dans un léger mouvement concave dans la partie intérieure du visage, contraste avec le mouvement plutôt convexe du haut du visage suivant la courbe en demi-sphère du front. Les volumes très équilibrés, les détails anatomiques, notamment la musculature des bras et du torse, ainsi que la coiffure, traités avec un certain réalisme, sont des éléments caractéristiques des productions Betsi.

Outre leur rattachement à différents centres stylistiques mis en lumière par les études ethno-morphologiques, certaines œuvres pourraient provenir de manière plus précise d’un même atelier ou être issues de la main d’un même artiste dont le nom ne nous est pas parvenu. Le gardien de reliquaire de l’ancienne collection de Marc Ladreit de Lacharrière peut être rapproché d’une statue fang Betsi aujourd’hui conservée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et d’une deuxième issue de la collection de Roland Tual, publiée par Paul Guillaume et Thomas Munro en 1929. Hormis quelques détails, ces œuvres, réalisées sensiblement à la même période et dont la présence en France est attestée dès les années 1920, présentent dans leur structure morphologique, stylistique et iconographique des ressemblances évidentes. Ainsi, comme le souligne Louis Perrois, « s’il est évidemment difficile aujourd’hui de considérer avec certitude que celles-ci sont issues de la même « main », il n’est pas douteux en revanche qu’elles proviennent de la même région, celle des Fang Betsi/Mekè du Gabon - entre les Monts de Cristal et l’Ogooué - et qu’elles ont été façonnées à la même époque (19e siècle) ».

Des gestes et des parures

Selon Louis Perrois, « chaque statue faisait référence, de façon allusive et par des détails de l’ornementation, à des défunts plus ou moins connus ou à leur lignage ». Si la patine témoigne des multiples libations dont l’effigie est empreinte, les choix plastiques qui présidèrent à sa réalisation sont également porteurs de sens. Une attention particulière est ainsi portée aux organes de perception, notamment les oreilles en saillie. Cette importance accordée à l’organe auditif pourrait suggérer la capacité à percevoir l’inaudible : la voix des ancêtres répondant aux invocations des hommes. La tension subtile entre les vides et les pleins, visible dans le positionnement des avant-bras et des mains se rejoignant au niveau du plexus et se fondant presque dans la coupelle qu’elles soutiennent, témoigne de la grande qualité sculpturale de cette œuvre.

L’iconographie de la coupe, observable sur un certain nombre de figures de reliquaire fang, évoquerait la coupelle à offrandes qui contenait les huiles destinées aux libations appliquées sur les crânes ancestraux et la figure de reliquaire. Cette image pourrait également faire référence aux rites de la naissance durant lesquels le cordon ombilical du nouveau-né était déposé dans ce type de coupelle. Celle-ci était également utilisée pour contenir une composition d’herbes médicinales aux vertus protectrices incorporées dans le bain du nouveau-né. Cette connexion entre symbolique ancestrale et naissance pourrait être corroborée par les choix formels caractérisant les figures de reliquaire fang dont la structure matérialiserait pour certains chercheurs une conception cyclique de la vie et de la mort. Des caractéristiques morphologiques liées au monde de l’enfance (tête et yeux ronds, membres courts, ombilic saillant et ventre arrondi) se mêlent ainsi à des traits d’homme ou de femme pleinement accomplis et sexués. La structure des corps évoquerait ainsi cette dynamique cyclique et le rôle fondamental que les ancêtres jouaient dans toutes les étapes de la vie de la communauté, de la naissance à la mort, et dans la pérennité du lignage.

Détails du gardien de reliquaire fang Betsi © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain
Détails du gardien de reliquaire fang Betsi © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain
Détails du gardien de reliquaire fang Betsi © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain

Détails du gardien de reliquaire fang Betsi © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain

Les Fang sont également connus pour le haut degré de raffinement de leurs parures, marqueurs de statut social. L’élaboration de leurs coiffes, coiffures et certaines modifications corporelles telles que leurs scarifications, leurs tatouages ou leurs dents taillées en pointes impressionnèrent les Européens au 19e siècle. Ici, la représentation de la coiffe nous livre un témoignage d’un type ancien de coiffes postiches à crête centrale et protège-nuque. Ces coiffes appelée nlô-ô-ñgo étaient portées par les Fang jusqu’au début du 20e siècle.

Historique de l’œuvre et son parcours

Constituant un témoignage remarquable d’un des grands styles « classiques » fang, cette œuvre de l’ancienne collection du peintre Georges de Miré (1890-1965) fait partie des premières figures de reliquaire fang arrivées en Europe entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Ce goût singulier pour « l’art nègre », Georges de Miré le partageait notamment avec son cousin et ami intime, le peintre Robert de La Fresnaye (1885-1925). Ce dernier lui déclarait ainsi dans une lettre datée de 1913 : « Je sens un besoin très intense, mais infiniment vague, de force et d'émotion. C'est un peu comme un amour sans objet. Parfois le hasard me montre une chose qui au premier aspect me semble contenir ce que je cherche ; ainsi une photo de Giorgione ; et ce matin, chez un antiquaire qui vend des bois nègres. […] Une petite tête formant vase me tentait beaucoup ; il en voulait cher ; je fouille mes poches et il veut bien se contenter de ce que j'y trouve, moins 4 sous pour le tramway. Et me voilà parti avec mon petit bois nègre, tout étonné de trouver le soleil bien plus brillant, la foule bien plus gaie, et la vie bien meilleure. J'ai porté cet après-midi le bois à mon atelier : il ne m'a pas déçu, et, de même que la lampe Osram qu'on allume éclipse brusquement une pauvre vieille 16 bougies, de même aussitôt posé sur mon étagère, mon petit bois nègre, adieu le charme maniéré de ma statue de la Clayette, adieu la noblesse chaste de ma statuette en plâtre peint ! Quelle est-elle donc cette sorte d'essence mystérieuse dont nous entrevoyons l'existence, qui flotte çà et là autour de nous, que nous voudrions atteindre et qui se dérobe toujours et qui vient se poser narquoise sur un bois fait par des sauvages ? »

Après avoir prêté plusieurs œuvres pour des expositions pionnières dans le domaine des arts dits primitifs, telles que Les Arts indigènes des Colonies françaises en 1923 et la célèbre exposition d’art africain et océanien de la galerie du Théâtre Pigalle en 1930, Georges de Miré se sépara, le 16 décembre 1931, de 166 pièces de sa collection dont 112 œuvres africaines. L’importance de cette vente fut telle qu’elle fut mentionnée dans des articles outre-Atlantique. Contribuant par leur qualité plastique à la formation d'un nouveau regard, nombre de ces pièces, qui furent exposées à la galerie Charles Ratton, au 14 rue de Marignan, sont aujourd’hui considérées comme des « chefs-d’œuvre absolus ». C’est le collectionneur et proche de Paul Guillaume, Nico Mazaraki, qui acquit la figure de reliquaire fang Betsi à la vente de la collection Georges de Miré. Elle ne tarda pas à rejoindre la collection d’Albert Kleinmann, où elle resta plusieurs décennies, puis plus récemment celle d’Adam Lindemann à New York, et enfin celle de Marc Ladreit de Lacharrière.

Bien loin de son contexte d’origine et de sa fonction première, le statut d’œuvre d’art, acquis en Europe dès le début du 20e siècle, et conféré par un petit cercle d’amateurs éclairés, est illustré par un élément qui pourrait paraître anodin : son socle réalisé par l’ébéniste japonais Kichizô Inagaki (1876-1951). Novateurs pour l’époque, ces socles en bois, massifs et sobres, à la finition subtilement nervurée, étaient conçus non pas comme de simples supports mais pour épouser les objets dans une parfaite harmonie. Pour William Fagg, les socles du « presque légendaire Inagaki […] sont […] aussi précieux que les objets qu'ils supportent. » Originaire de la ville de Murakami, Kichizô Inagaki, après avoir remporté le troisième prix du concours national des maîtres laqueurs de Murakami et un passage par l’École des Beaux-Arts de Tokyo, s’installe à Paris en 1906. Très rapidement, il réalise le montage sur socle de nombreuses pièces extra-européennes ou archéologiques pour les plus grands antiquaires parisiens tels que Paul Guillaume (1891-1834) ou Joseph Brummer (1883-1947), qui comptait notamment comme client le sculpteur Auguste Rodin. Ce dernier, impressionné par le travail de Kichizô Inagaki, avec lequel il deviendra très proche, lui demanda de réaliser les socles de son importante collection d’antiquités. Ils collaborèrent de 1912 jusqu’à la mort du sculpteur en 1917. Les créations estampillées du désormais célèbre sceau calligraphique « Yoshio » - nom d’artiste de Kichizô Inagaki - constituent aujourd’hui des indicateurs significatifs d’une provenance importante (marchands, collectionneurs et artistes emblématiques du Paris de l’entre-deux-guerres) et la présence attestée de l’œuvre en Europe entre les années 1910 et 1951. Charles Ratton fit l'une des rares descriptions de ce maître socleur aussi talentueux que discret, qu’il rencontra d’ailleurs par l’intermédiaire de Georges de Miré : « Il avait amené avec lui, non seulement son charme et son goût raffiné, mais aussi un grand nombre d’outils faits de ses mains. […] Sa réputation s’établit rapidement grâce à son sens du volume et son amour du bois. […] C’est en compagnie de Georges de Miré, l’un des plus grands collectionneurs de notre génération après Albert Barnes et Franck Haviland, que je lui rendis visite la première fois. Je revins par la suite de très nombreuses fois, car c’était un très grand plaisir de le regarder travailler, entouré de ses clients et amis, prompt à participer aux conversations, même si toute son attention était dévolue à la réalisation des socles ou à la restauration des objets. Son atelier devint un lieu de rendez-vous bien connu. […] Je me souviens d’y avoir rencontré une fois André Breton. »

Bibliographie sélective et cartographie

Cartes

Thierry Renard (2020), musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris.

 

Publications

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FALGAYRETTE-LEVEAU Christiane, DELORME Gérard, LEVEAU Michel, Gabon. Présence des esprits, Paris, Musée Dapper, 2006.

GUILLAUME Paul et MUNRO Thomas, La Sculpture nègre primitive, Paris, Éditions G. Crès & Cie, 1929.

HOURDÉ Charles-Wesley, « Kichizô Inagaki. Dans l’ombre des Grands du XXe siècle » in Tribal Art Magazine, Hiver 2012, n° 66, pp. 96-105.

JOUBERT Hélène (Dir.), Éclectique : Une collection du XXIe siècle, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac ; Flammarion, 2016, pp. 100-101.

KERCHACHE Jacques, PAUDRAT Jean-Louis, STEPHAN Lucien, L'art africain, Paris, Mazenod, 1988.

LA GAMMA Alisa, Eternal Ancestors: the Arts of the Central African Reliquary, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2008.

LE FUR Yves (Dir.), Musée du quai Branly : La collection, Paris, musée du quai Branly ; Skira-Flammarion, 2009, pp. 82-83.

LE FUR Yves (Dir.), Forêts natales, Arts d’Afrique équatoriale atlantique, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac ; Actes Sud, 2017.

MARQUETTY M.V., Exposition d’art Africain et d’art océanien, Paris, Galerie Pigalle, 1930.

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TESSMANN Günter, Die Pangwe. Mit einem Geleitwort des Verfassers, New York, Johnson Reprint Corp., 1972.